Examiner un patient avec des lentilles sclérales

Les lentilles sclérales appartiennent au groupe des lentilles rigides. Ces 20 dernières années, les avancées technologiques sur leur conception ont contribué à leur essor. Elles sont de plus en plus utilisées pour la prise en charge des patients. Nous nous intéresserons ici aux particularités de la consultation ophtalmologique d’un patient porteur de lentilles sclérales.

La lentille sclérale est une lentille de grande taille, qui passe en pont au-dessus de la cornée et du limbe, sans contact avec ces structures. Elle vient se poser sur la conjonctive à distance du limbe. Son diamètre est compris entre 15 et 25 mm. L’existence d’un réservoir liquidien entre la lentille et la cornée confère à la lentille sclérale des indications spécifiques (figure 1). Dans les pathologies de la surface responsables d’une sécheresse oculaire sévère, la lentille sclérale aide à la cicatrisation et améliore le confort du patient. Dans les pathologies où la surface cornéenne est exposée, elle a un effet protecteur, diminuant le risque d’ulcération. La lentille sclérale peut aussi être utilisée à visée optique, dans les mêmes indications qu’une lentille rigide cornéenne après échec de celle-ci.

Interrogatoire

L’interrogatoire apporte des informations sur le confort du patient et sur le bon respect des règles d’entretien et d’utilisation des lentilles. Il convient de s’intéresser à leur technique de pose, qui diffère de celle des autres lentilles. En effet, avant la pose, le patient rince sa lentille abondamment avec du sérum physiologique, pour éviter tout résidu de produit d’entretien potentiellement toxique. Il remplit totalement sa lentille uniquement avec du sérum physiologique non conservé. Le remplissage avec une solution d’entretien est à prohiber, car source de kératite toxique. La pose se fait avec une ventouse tête vers le bas. Le patient vérifie l’absence de bulle d’air, qui nécessiterait un retrait et une nouvelle pose de la lentille (figure 2). Le retrait se fait après instillation de sérum physiologique dans l’œil avec une autre ventouse. Après le retrait, la lentille peut être délicatement massée avec un savon adapté aux lentilles rigides. Elle est ensuite déposée dans un boîtier suffisamment grand rempli d’une solution d’entretien spécifique. Des vidéos sur la manipulation des lentilles sclérales sont disponibles sur les sites https://passeportlentilles.fr et https://www.laboratoire-lcs.com.

Mesure de l’acuité visuelle

Après l’interrogatoire, l’acuité visuelle (AV) du patient est évaluée en monoculaire et en binoculaire avec les lentilles portées. Si l’AV de loin n’est pas satisfaisante, il est possible d’ajouter un verre sphérique devant les lentilles. Si celui-ci l’améliore, la puissance du verre sera ajoutée à la puissance de la lentille lors de la prescription, en tenant compte de la distance verre-œil au-delà de 4 D. Dans de rares cas, l’AV remonte avec l’ajout d’un cylindre. Ce cylindre peut aussi être prescrit dans la puissance de la lentille. Concernant la vision de près, si le patient nécessite une addition, on lui prescrira une paire de lunettes à porter avec ses lentilles. En effet, il n’existe en France pas de lentille sclérale progressive.

Examen biomicroscopique de la lentille

Après l’AV, le patient portant ses lentilles est examiné à la lampe à fente. L’examen d’une lentille sclérale se fait de la périphérie vers le centre de la lentille.

Examen de la périphérie de la lentille
L’examen biomicroscopique de la périphérie de la lentille sclérale est réalisé en lumière blanche, avec un faible grossissement, le diffuseur, et en écartant bien les paupières (figure 3). Le bord de la lentille sclérale est situé entre 1,5 et 3 mm du limbe. Ce repère permet de savoir si le diamètre de la lentille est adapté à l’œil du patient. La lentille sclérale est souvent légèrement décentrée en inférieur en raison de son poids. Le bord de la lentille sclérale vient se poser sur la sclère sans comprimer les vaisseaux conjonctivaux. Il convient de vérifier sur 360° l’absence d’interruption des vaisseaux conjonctivaux lors de leur passage sous le bord de la lentille. Si tel était le cas, cela signifierait que la périphérie de la lentille est trop serrée (figure 4). À l’inverse, des microbulles d’air sous le bord de la lentille sont visibles lors d’une périphérie trop plate. Enfin, il convient de rechercher sur la face antérieure de la lentille la présence de 2 traits repères espacés de 180°. Ces traits repères indiquent le méridien plat d’une lentille sclérale avec une périphérie torique. Ils sont à noter dans le dossier.

Examen de la lentille en regard du limbe et de la cornée

La lentille sclérale ne doit toucher ni le limbe ni la cornée. Il existe donc un espace liquidien entre la lentille et ces structures. L’examen de cet espace est facilité par l’instillation de fluorescéine. Il est possible de faire passer la fluorescéine sous le bord inférieur de la lentille par push up, puis d’attendre sa diffusion dans l’espace liquidien (figure 5). 

L’autre technique consiste à retirer la lentille puis à la remettre avec de la fluorescéine ajoutée au sérum physiologique. L’examen biomicroscopique se fait d’abord en lumière bleue diffuse pour rechercher un éventuel contact entre la lentille et la cornée (figure 6), ou entre la lentille et le limbe. L’examen se poursuit en lumière blanche en fente fine et en fort grossissement. Cela permet d’avoir une coupe optique avec, d’avant en arrière : la lentille, l’espace liquidien, la cornée ou le limbe (figure 7). L’épaisseur de l’espace liquidien est évaluée par rapport à l’épaisseur cornéenne. Cet espace liquidien ne doit pas être excessif, afin d’éviter une hypoxie cornéenne. Dans l’idéal, après plusieurs heures de port de la lentille, il est recommandé d’avoir en regard du limbe un espace liquidien compris entre 50 et 100 microns, et en regard du centre de la cornée un espace liquidien compris entre 150 et 250 microns.

Examen au retrait de la lentille

Cette dernière étape est très importante. Elle évalue la tolérance cornéenne et conjonctivale de la lentille. En lumière blanche, il convient de rechercher des néovaisseaux cornéens ou un œdème de la cornée. Après instillation de fluorescéine, en lumière bleue, une atteinte de la conjonctive, du limbe ou de la cornée est recherchée. Un aspect « marécageux » de la répartition de la fluorescéine sur la cornée est classique après le retrait d’une lentille sclérale, et est à distinguer d’une kératite (figure 8). Cet aspect « marécageux » n’a pas de valeur pathologique et disparaît spontanément dans les heures qui suivent le retrait.

Conclusion

L’examen d’un patient avec une lentille sclérale présente des particularités, mais reste accessible à tout ophtalmologiste dans sa pratique quotidienne. Il comprend un interrogatoire, une réfraction, un examen biomiscroscopique de la lentille et de l’œil sans la lentille. Il permet de valider ou non le port de cette lentille.

Pour en savoir plus
Van der Worp E. Un guide pour l’adaptation des lentilles sclérales. 2010. Barnett M, Faddel D. Clinical guide for scleral lens success. 2018.

Auteurs

Les derniers articles sur ce thème

L'accès à la totalité de la page est protégé.

Je m'abonne

Identifiez-vous