Évaluation de 3 plateformes de lumière pulsée intense dans le dysfonctionnement des glandes de Meibomius
Le dysfonctionnement des glandes de Meibomius (DGM) représente l’une des plus fréquentes (voire la plus fréquente) des pathologies oculaires auxquelles est confronté un ophtalmologiste du XXIe siècle. La prévalence de la pathologie de la surface oculaire est considérable dans les centres ophtalmologiques de premier recours. L’arsenal thérapeutique et les outils diagnostiques ne cessant de s’enrichir, il nous semble indispensable que les ophtalmologistes soient sensibilisés à la prise en charge moderne de cette pathologie qui est potentiellement invalidante en cas de retard diagnostique. Nous avons donc évalué, dans notre centre ophtalmologique de Barbizon – Pays de Fontainebleau, les 3 plateformes de traitement du DGM par lumière pulsée disponibles en France en 2020.
IPL (Intense Pulsed Light ou lumière pulsée intense)
IPL est l’abréviation de Intense Pulsed Light (lumière pulsée intense). Cette lumière polychromatique est générée par une lampe à arc Xénon et son domaine spectral d’émission s’étend de l’ultraviolet (UV) au proche infrarouge (IR) (spectre d’une largeur de 400 à 1 200 nanomètres), contrairement aux sources lasers où le rayonnement est monochromatique. Cette lumière traite chaque zone en distribuant des flashs de traitement.
L’IPL a été introduite en thérapeutique humaine en 1989 par Morgan Gustavson et l’approbation de cette technique par la Food and Drug Administration étasunienne date de 1995. À compter de cette date, l’IPL s’est essentiellement développée en dermatologie pour le traitement de la rosacée, de l’acné, des télangiectasies et autres pathologies cutanées.
En 2002 on commence à s’intéresser aux applications en ophtalmologie grâce à la perspicacité de Rolando Toyos. Celui-ci avait constaté que les patients souffrant d’une rosacée et traités par IPL par sa femme Melissa, médecin esthétique, constataient une amélioration de leur sécheresse oculaire quand elle traitait les télangiectasies de la couperose sur le visage de ses patients et notamment les télangiectasies péri-oculaires. En 2007 le premier appareil d’IPL à usage ophtalmologique était commercialisé.
Jennifer Craig et ses collaborateurs ont publié en 2014 la première étude prospective d’une thérapeutique par IPL pour traiter le DGM (en utilisant l’E-eye fabriqué par la société française E-Swin). Par la suite d’autres études sont venues confirmer l’efficacité et l’innocuité de l’IPL pour traiter la sécheresse oculaire évaporative en lien avec un DGM, en utilisant essentiellement les IPL E-Eye et Lumenis M22.
DGM et meibographie
Mode infrarouge direct
La meibographie en mode infrarouge direct permet le diagnostic d’atrophie des GM. Cette technique offre la possibilité d’évaluer la morphologie des glandes de Meibomius in vivo, de manière non invasive et sans désagréments pour le patient.
Les meibographes issus de la technologie Tear Science permettent en plus une analyse en transillumination avec un éverseur de paupières muni d’une source de lumière infrarouge, ce qui est indispensable pour quantifier le degré d’inflammation, notamment dans le DGM associé à la rosacée.
Mode transillumination adaptative
La meibographie en mode transillumination adaptative permet de quantifier les télangiectasies. Pour cela, on peut utiliser la classification en tiers (stade 1 : pas de télangiectasies ; stade 2 : télangiectasies inférieures à 33% ; stade 3 : télangiectasies comprises entre 33 et 66% ; stade 4 : télangiectasies supérieures à 66%). Pour que cette quantification soit reproductible, l’éversion des paupières inférieures doit être faite parfaitement, sans embarquer la conjonctive tarsale inférieure (figures 1 et 2).
Il est essentiel de ne pas confondre les télangiectasies de la rosacée avec une banale hyperhémie conjonctivale non spécifique – dans ce cas les vaisseaux sont plus superficiels lors de la meibographie en transillumination –, qui peut être fugace.
Appareils de lumière pulsée intense testés : Lacrystim – E-eye et Eye-Light
Nous avons pu disposer en prêt, pendant plusieurs mois, du Lacrystim de Quantel et nous sommes propriétaires depuis 3 ans de l’E-eye (distribué par Cristalens en France) et de l’Eye Light (distribué depuis 2020 par EBC Europe) (figure 2 et tableau).
Rosacée oculaire
La meilleure indication de l’IPL reste la rosacée oculaire, pathologie fréquente en dermatologie, avec une nette prédominance féminine (deux tiers des cas). Elle touche le plus souvent des sujets de carnation, iris et cheveux clairs (d’où le qualificatif de « malédiction celtique »). Elle prédomine chez la femme (sex-ratio environ égal à 2) et sa fréquence culmine entre 40 et 50 ans.
En ophtalmologie, dans le cadre de la rosacée oculaire, il existe une parité homme/femme ainsi qu’une forme spécifique chez l’enfant. Les atteintes ophtalmologiques sont sous-estimées par les dermatologues car les manifestations cutanées peuvent être discrètes, avec une dissociation anatomoclinique inverse à celle retrouvée en dermatologie. En revanche, en ophtalmologie, l’atteinte oculaire peut être sévère avec très peu de signes cliniques dermatologiques.
La quasi-totalité des rosacées s’accompagne d’un syndrome sec oculaire par DGM, et dans environ un tiers des cas il existe une allergie surajoutée qui peut retarder le diagnostic et la prise en charge thérapeutique.
Les télangiectasies du bord libre palpébral sont l’atteinte palpébrale qui doit attirer l’attention de l’ophtalmologiste car ces télangiectasies peuvent aussi intéresser les régions périglandulaires et être à l’origine d’une inflammation importante du micro-environnement glandulaire.
out patient atteint d’une rosacée à prédominance cutanée (sans plaintes oculaires) et/ou avec des télangiectasies du bord libre palpébral devrait pouvoir consulter un ophtalmologiste surspécialisé en surface oculaire, afin de bénéficier d’une meibographie permettant de quantifier l’atrophie meibomienne et le degré de télangiectasies périglandulaires.
Il faut signaler des formes infantiles de rosacée, souvent frustes sur le plan cutané mais avec des chalazions à répétition, et qui peuvent s’accompagner d’une kérato-conjonctivite phlycténulaire et d’ulcères catarrhaux.
Quand l’indication est bien posée, les résultats de l’IPL peuvent être spectaculaires sur la disparition des télangiectasies et le contrôle de l’inflammation de la surface oculaire (figures 3 et 4).
Conclusion
Suite à nos études préliminaires dans notre Centre ophtalmologique, il nous apparaît indispensable de pouvoir disposer de toute la technologie actuelle pour traiter au mieux la pathologie meibomienne, car c’est la combinaison de plusieurs traitements différents qui permet d’obtenir les meilleurs résultats pour traiter le DGM.
Pour en savoir plus
TFOS DEWS II. Ocular Surface Journal, july 2017. www.tfosdewsreport.org.
Pisella PJ, Baudouin C, Hoang-Xuan T. Surface Oculaire. Rapport de la SFO 2015. Elsevier-Masson.
Dighiero P, Lachot C. Comment choisir son meibographe en 2019 ? Réalités Ophtalmologiques. 2019;265:43-8.
Dighiero P. Évaluation de 4 meibographes pour le diagnostic de l’atrophie des glandes de Meibomius. Les Cahiers d’Ophtalmologie. 2019;232:28-31.
Dighiero P. Organisation de la consultation de sécheresse oculaire en libéral. Réflexions Ophtalmologiques. 2019;229:31-6.
Dighiero P. La lumière thérapeutique dans le dysfonctionnement des glandes de Meibomius. Réflexions Ophtalmologiques. 2020;232:45-51.
Dighiero P, Lachot C. Le chalazion multirécidivant. Les Cahiers d’Ophtalmologie. 2020;235:17-9.
Toyos R, McGill W, Briscoe D. Intense pulsed light treatment for dry eye disease due to meibomian gland dysfunction; a 3-year retrospective study. Photomed Laser Surg. 2015;33(1):41-6.
Craig JP, Chen YH, Turnbull PR. Prospective trial of intense pulsed light for the treatment of meibomian gland dysfunction. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2015;56(3):1965-70.