Echos SFO 2020 : « Les douleurs oculaires »
La douleur oculaire comprend la douleur aiguë, signal d’alerte d’une pathologie sous-jacente, et la douleur chronique qui émane d’une autonomisation d’un processus douloureux aigu. Cette dernière correspond notamment aux altération de la surface oculaire.
Douleurs chroniques, un impact majeur sur la qualité de vie
Parmi les patients ayant une sécheresse oculaire, 57% sont gênés dans leur quotidien. Ils sont 80% à penser que leur problème n’est pas pris en considération.
Ces douleurs chroniques s’intègrent dans le cadre d’un modèle bio-psychosocial, comme l’a expliqué le Pr Antoine Labbé : la douleur a un substratum biologique, un retentissement sur la vie personnelle du patient, sur son travail, par exemple avec un possible absentéisme, et des conséquences sur la société.
Les patients ayant une sécheresse oculaire sont plus à risque de dépression. Cette prise en considération du problème nécessite une coordination entre l’orthoptiste, qui est souvent la première écoute du patient, et l’ophtalmologiste, qui peut avoir tendance à minimiser le vécu du patient, sa pathologie étant considérée comme bénigne.
De la sécheresse oculaire à la douleur neuropathique
Le Pr Christophe Baudouin a exposé le problème de discordance qui existe entre les kératites neurotrophiques, avec une symptomatologie clinique majeure et peu de plaintes de la part du patient, et le cas de l’instabilité du film lacrymal, avec un examen clinique peu altéré et des signes fonctionnels importants exprimés par le patient.
La cornée est innervée par environ 500 nerfs qui ont plus de 200 à 3 000 terminaisons nerveuses. La voie afférente de l’innervation est connectée au ganglion trigéminé puis au tronc cérébral et à la voie de la douleur. La voie efférente emprunte le chemin inverse.
Les terminaisons nerveuses cornéennes ont 3 types de récepteurs : 70% sont des récepteurs polymodaux et sont activés par des stimulis mécaniques, chimiques ou traumatiques qui entraînent une douleur, une sécrétion réflexe ou encore un clignement réflexe de protection ; 20% sont responsables d’une douleur aiguë et 10% sont des récepteurs thermiques au froid (figure 1).
Lors de la baisse de l’osmolarité entre 2 clignements, un microrefroidissement active les récepteurs au froid et permet une sécrétion de base et un clignement.
Dans le cadre de l’instabilité lacrymale, les récepteurs au froid sont stimulés de manière beaucoup plus importante et fréquente que chez un sujet sain. Cette surstimulation conduit à une douleur par une inflammation neurogène induisant une augmentation des cellules inflammatoires, une raréfaction des nerfs et une dystrophie des fibres nerveuses.
La stimulation répétée de la voie trigéminée par imprégnation inflammatoire entraîne une autonomisation de la douleur. C’est un phénomène difficile à quantifier car peu de biomarqueurs d’inflammation oculaire sont mesurables.
Disparition de la douleur : un mauvais signe
À l’inverse du problème d’instabilité du film lacrymal, la kératite neurotrophique, parlante initialement, peut devenir indolore et cela doit alerter le praticien. Ce sujet a été relaté par le Pr Marc Labetoulle. Dans la kératite neurotrophique, les 3 types de récepteurs décrits précédemment sont altérés. Le vieillissement et surtout l’inflammation s’accompagnent d’une perte en cellules neuronales. La sécrétion lacrymale et le réflexe palpébral sont diminués, cela provoque une perte de sensibilité des fibres de la voie trigéminée qui conduit à une altération chronique des cellules épithéliales de la cornée et à une dysfonction meibomienne. Du fait de l’apoptose des kératocytes et de la perte en cellules caliciformes, il se produit une lyse stromale pouvant induire une perforation.
La kératite peut être dépistée cliniquement de manière qualitative par un coton enroulé, de manière quantitative par l’esthésiomètre de Cochet-Bonnet, ou encore en recherche avec un esthésiomètre de Belmonte qui teste les différents types d’hypoesthésie cornéenne.
Le test à la fluorescéine permet de grader la kératite. On s’attachera également à décrire l’état palpébral et conjonctival et à réaliser le test de Schirmer pour quantifier le déficit lacrymal.
La profondeur d’un ulcère neurotrophique peut être suivie par un OCT de segment antérieur. La microscopie confocale permet d’analyser l’état du réseau neuronal ou de rechercher des cellules kystiques (les amibes sont pourvoyeuses de kératite neurotrophique) ou dendritiques (HSV, VZV) (figure 2).
Une maladie systémique causale ou favorisant la kératite neurotrophique devra être recherchée, comme par exemple le diabète, un neurinome de l’acoustique, l’amylose, la sclérose en plaques… Si toutes les explorations sont normales, une IRM pourra être pratiquée pour rechercher une cause compressive de la Ve paire crânienne.
La base du traitement comprend des agents mouillants sans conservateurs, la thérapie matricielle, les immunomodulateurs (ciclosporine), le NGF (sans AMM en France). En approche palliative, les bouchons méatiques, les lunettes à chambre thermique, les verres scléraux, le plasma enrichi et le sérum autologue, la chirurgie de paupière et la greffe de membrane amniotique sont des solutions possibles.
Douleurs inflammatoires intraorbitaires et intraoculaires
La deuxième partie de cette session SFO a abordé le sujet de la douleur aiguë intraoculaire et orbitaire (Pr Bahram Bodaghi). Il s’agit de signaux d’alerte qui poussent le patient à consulter et qui s’intègrent dans le quatuor des marqueurs cliniques d’inflammation : douleur, rougeur, chaleur, tuméfaction.
L’inflammation oculaire antérieure peut être un signe d’atteinte de l’orbite, de la sclère et du segment antérieur. Ces douleurs répondent bien aux traitements locaux anti-infectieux et anti-inflammatoires.
La douleur, lors d’une uvéite antérieure, peut être due à une atteinte du corps ciliaire, il s’agit par exemple des uvéites HLA B27. Cela peut également être par hypertonie oculaire, comme on le constate souvent dans les uvéites herpétiques.
Dans les pathologies orbitaires, les causes de douleur et d’inflammation regroupent les atteintes de la loge lacrymale, les neuropathies optiques, les syndromes antérieurs diffus ou localisés, la cellulite orbitaire, les thromboses du sinus caverneux, les abcès orbitaires, le syndrome de Tolosa-Hunt, les dysthyroïdies ou encore les inflammations idiopathiques.
Prendre en charge ces douleurs nécessite un traitement spécifique de l’étiologie, un traitement anti-inflammatoire local comme les corticoïdes, un cyclopégique, un traitement anti-hypertenseur oculaire. Il peut également associer des immunosuppresseurs en relais d’un traitement aux corticoïdes, des immunomodulateurs et un traitement antalgique oral qui doit être de courte durée.
Indication de l’hypnose en ophtalmologie
L’anticipation de gestes douloureux est un enjeu important en ophtalmologie où une grande partie des interventions peut être réalisée sous anesthésie locale. L’hypno-analgésie est de plus en plus développée en technique d’anesthésie et peut s’appliquer à notre spécialité. Le Dr Bonnin a exposé les principes de cette technique appliquée à l’ophtalmologie.
L’hypnose peut se pratiquer au cours d’une consultation, lors de la réalisation d’une injection intravitréenne, en préopératoire ou en peropératoire.
L’hypno-analgésie comprend une technique conversationnelle avec renforcement positif, mais utilise aussi la distraction et la focalisation de la pensée pour obtenir une dissociation entre le ressenti physique et le psychique.
Le principal risque de l’hypnose est son échec. Il nécessite un personnel formé à la technique. Le bénéfice peut être intéressant pour le chirurgien et pour le patient : intervention se déroulant dans le calme, patient détendu et satisfait en postopératoire.