Echos SFO 2019. La Cornée

La cornée Romain Mouchel CHU Édouard-Herriot, Lyon La cornée était à l’honneur lors de ce 125e congrès international de la Société française d’ophtalmologie. En effet, le Dr Gerrit Melles, père de la chirurgie cornéenne moderne et premier chirurgien à avoir pratiqué et décrit la greffe lamellaire postérieure de type DMEK, était l’un des invités de ce congrès.

Kératocône
La session consacrée au kératocône a été l’occasion de débattre sur 2 notions importantes : la place des frottements oculaires dans la genèse de la pathologie et l’intérêt du cross linking sur la stabilisation de cette dernière.
Les études actuelles confirment une stabilisation de la maladie après la réalisation d’un cross linking, mais il faut garder à l’esprit que les règles hygiéno-diététiques sont essentielles et complémentaires pour y parvenir. La mise au point d’un questionnaire de préconsultation incluant l’étude des frottements oculaires ainsi que la position du sommeil apparaît comme un support efficace dans l’éducation du patient et représente un outil supplémentaire dans sa prise en charge globale.
En effet, une étude rétrospective sur un suivi de 2 ans des patients kératoconiques a montré une stabilisation significative de la pathologie après l’arrêt de ces frottements sans la réalisation combinée d’un cross linking.
Mais la place de ce dernier reste un débat animé chez les spécialistes français. Car une étude a révélé une diminution significative des frottements oculaires ainsi qu’une stabilisation de la maladie après un cross linking, évoquant la possibilité d’une meilleure sensibilisation des patients, mais également une diminution de la sensibilité cornéenne grâce à ce traitement.
Même si les complications sont rares, le cross linking reste un traitement chirurgical invasif nécessitant de documenter l’évolutivité du kératocône avant de le proposer.
Concernant la réhabilitation visuelle, la contactologie moderne, passant par les lentilles rigides perméables au gaz, les lentilles hydrides ainsi que les lentilles sclérales, a permis de diminuer significativement le nombre de greffes de cornée tout en améliorant la qualité de vie des patients.
Cependant, tous ne sont pas améliorés par les lentilles et les autres traitements restent à proposer : anneaux intracornéens, photokératectomie réfractive topoguidée associée au cross linking, greffe de cornée lamellaire antérieure.
Pour conclure, la greffe de couche de Bowman [1] est proposée aujourd’hui pour les kératocônes évolutifs dont la pachymétrie est trop fine pour pouvoir bénéficier d’un cross linking, ou dans le cas d’un échec d’adaptation en contactologie du fait d’une ectasie trop importante. Elle a été décrite par le Dr Melles [2] avec des premiers résultats prometteurs. En effet, en régularisant la surface cornéenne sans modifier la transparence, les patients sont plus facilement adaptés en contactologie et ont une meilleure récupération visuelle en évitant une greffe de cornée lamellaire antérieure, plus invasive.

Greffes de cornée lamellaires postérieures
Les différentes études sur la DMEK (Descemet’s Membrane Endothelial Keratoplasty) et sur la DSAEK (Descemet’s Stripping Automated Endothelial Keratoplasty) convergent et même si les résultats en DMEK sont globalement meilleurs [3], la DSAEK garde une place de choix pour les cas difficiles grâce à une procédure plus aisée permettant de diminuer le nombre d’échecs postopératoires. L’ultra-thin DSAEK permet d’obtenir des greffons plus fins, diminue le shift hypermétropique et améliore les résultats réfractifs.
La greffe endothéliale commence également à être proposée chez l’enfant, dans les cas de CHED (Corneal Hereditary Endothelial Dystrophy). Les premiers patients opérés ont affiché des résultats prometteurs, au prix d’une chirurgie complexe mais également d’un suivi difficile à mettre en place, notamment dans le maintien de la position allongée. Une complémentarité entre le chirurgien, l’anesthésiste et les parents est essen-tielle pour réussir à maintenir un greffon bien plaqué.
La greffe endothéliale dans le cas d’une atteinte herpétique montre des complications aussi fréquentes que dans les autres types de greffes, mais avec cependant de meilleurs résultats visuels. Elle garde donc son indication chez ces patients, qui doivent avoir été informés sur les risques liés à la procédure et sur une gestion postopératoire longue et complexe nécessitant un traitement antiviral à vie.
L’avenir de la DMEK passera sûrement par la prédécoupe, mais aussi par la précharge des greffons pour favoriser la généralisation de cette technique. La banque de cornée de Lyon travaille actuellement sur l’élaboration d’une cartouche préchargée et 2 équipes dans le monde, en Italie et aux États-Unis, ont déjà proposé leur propre système et commencé les études cliniques sur les premiers patients avec des résultats très encourageants [4,5].
À Saint-Étienne, une machine de conservation des greffons est actuellement en cours de développement. Elle permettra à terme de délivrer des greffons de meilleure qualité jusqu’à 3 mois après le prélèvement [6].
Pour conclure, l’évolution des techniques et la relative pénurie des greffons dits « Premium » ont motivé l’équipe du Dr Melles à proposer des « Hemi-DMEK » et des « QuarterDMEK » [7,8]. Les premiers résultats, excellents sur le plan visuel, montrent des DCE beaucoup plus faibles, ce qui peut faire poser la question de la viabilité de ces greffes dans le temps.

Et dans le futur ?
La culture cellulaire endothéliale et le rôle des ROCK inhibiteurs (Rho associated Kinase inhibitor) dans l’adhésion et la migration des cellules endothéliales [9] laissent place à des hypothèses de traitement futur, comme par exemple l’association d’une Quarter-DMEK et d’une injection de ROCK inhibiteurs afin de diminuer le nombre de greffons consommés par chirurgie, tout en optimisant les résultats postopératoires en termes de viabilité cellulaire endothéliale, et donc de survie dans le temps. Kinoshita [9] a publié en 2018 une étude sur 11 patients porteurs d’une kératopathie bulleuse et traités par injection de cellules souches endothéliales cultivées (supplémentation par des ROCK inhibiteurs). Tous les patients ont bien répondu au traitement, 10 d’entre eux présentant une DCE finale supérieure à 1 000 c/mm2.
En conclusion, l’amélioration des outils diagnostiques (OCT de segment antérieur swept source, microscopie confocale, tomographie couplée à l’OCT) et des outils thérapeutiques (microscope opératoire couplé à l’OCT, prédécoupe des greffons de DSAEK et DMEK, lentilles sclérales de nouvelle génération) ont permis de modifier l’épidémiologie de la greffe de cornée en France ces 5 dernières années : de moins en moins de patients kératoconiques sont opérés alors que l’ensemble des patients présentant une pathologie endothéliale peut aujourd’hui prétendre à un traitement chirurgical. Mais les avancées récentes en thérapie cellulaire pourraient de nouveau, dans les années à venir, redistribuer les cartes de l’épidémiologie de la greffe de cornée en France, et plus globalement dans le monde.

Références bibliographiques
[1] Tong CM, van Dijk K, Melles GR. Update on Bowman layer transplantation. Curr Opin Ophthalmol. 2019;doi:10.1097/ICU.0000000000000570.
[2] Dragnea DC, Birbal RS, Ham L et al. Bowman layer transplantation in the treatment of keratoconus. Eye Vis (Lond). 2018;5:24.
[3] Stuart AJ, Romano V, Virgili G, Shortt AJ. Descemet’s membrane endothelial keratoplasty (DMEK) versus Descemet’s stripping automated endothelial keratoplasty (DSAEK) for corneal endothelial failure. Cochrane Database Syst Rev. 2018;6:CD012097.
[4] Newman LR, DeMill DL, Zeidenweber DA et al. Preloaded Descemet membrane endothelial keratoplasty donor tissue: surgical technique and early clinical results. Cornea. 2018;37(8): 981-6.
[5] Busin M, Leon P, D’Angelo S et al. Clinical outcomes of preloaded Descemet membrane endothelial keratoplasty grafts with endothelium tri-folded inwards. Am J Ophthalmol. 2018;193: 106-13.
[6] Garcin T, Gauthier AS, Crouzet E et al. Innovative corneal active storage machine for long-term eye banking. Am J Transplant. 2018; doi: 10.1111/ajt.15238.
[7] Birbal RS, Hsien S, Zygoura V et al. Outcomes of Hemi-Descemet membrane endothelial keratoplasty for Fuchs endothelial corneal dystrophy. Cornea. 2018;37(7):854-8.
[8] Zygoura V, Baydoun L, Ham L et al. Quarter-Descemet membrane endothelial keratoplasty (Quarter-DMEK) for Fuchs endothelial corneal dystrophy: 6 months clinical outcome. Br J Ophthalmol. 2018;102(10):1425-30.
[9] Kinoshita S, Koizumi N, Ueno M et al. Injection of cultured cells with a rock inhibitor for bullous keratopathy. N Engl J Med. 2018;378(11):995-1003.

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