Dystrophie de Reis-Bücklers
Une patiente de 44 ans est adressée en consultation pour un avis sur une baisse d’acuité visuelle progressive bilatérale, associée à un astigmatisme irrégulier bilatéral inexpliqué. Elle ne présente aucun antécédent médical ni de consanguinité. Les antécédents familiaux ne sont pas connus.
L’examen initial retrouve une acuité visuelle à 5/10e à droite et 4/10e à gauche non améliorables, avec une vision de près relativement conservée à P2 à droite et P3 à gauche. Sa pression intraoculaire est normale. À la lampe à fente, on observe des opacités cornéennes bilatérales axiales sous-épithéliales épargnant le stroma antérieur, avec un segment antérieur par ailleurs sans particularité (figure 1). La réalisation d’un OCT de cornée montre des dépôts hyperréflectifs à bords nets en regard de la couche de Bowman, sans anomalie stromale ni épithéliale notable. On devine un plan de clivage sous ces dépôts cornéens (figure 2). L’analyse sémiologique permet de diagnostiquer une dystrophie de la couche de Bowman.
Le diagnostic le plus probable est une dystrophie de Reis-Bücklers car les opacités sont géographiques et l’aspect en nid d’abeille de la dystrophie de Thiel-Behnke n’est pas retrouvé. Une enquête génétique est ainsi débutée et une photokératectomie thérapeutique (PKT) sur l’œil gauche est programmée afin d’éclaircir l’axe visuel. L’analyse anatomopathologique réalisée en postopératoire est compatible avec le diagnostic. En effet, elle retrouve un revêtement épithélial dystrophique avec une membrane basale épithéliale conservée. La couche de Bowman présente des zones de pannus fibreux, témoins de zones d’exulcérations cicatrisées.
L’examen clinique et paraclinique à 1 mois de la PKT retrouve une cicatrisation satisfaisante avec une cornée claire dépourvue de dépôts cornéens (figure 3). L’évolution fonctionnelle est aussi favorable, avec une acuité visuelle corrigée à 9/10e et Parinaud 2. Un suivi régulier est proposé afin d’évaluer l’évolution à moyen terme. Le second œil ne sera opéré que dans un deuxième temps, selon l’évolution de l’œil opéré, et la présence de récidive.
Discussion
La dystrophie de Reis-Bücklers est une maladie cornéenne génétique, autosomique dominante, se présentant sous la forme d’opacités cornéennes centrales bilatérales apparaissant dès les premières années de vie. La couche de Bowman est progressivement remplacée par du matériel fibreux, issu de fibroblastes ayant une activité augmentée. Les principales complications sont les érosions épithéliales récidivantes débutant avant l’âge de 30 ans, puis la baisse d’acuité visuelle par progression de l’opacification cornéenne [1,2].
Avant l’accessibilité à la photoablation, la kératoplastie était préconisée en première intention. Le traitement actuellement recommandé est la PKT, avec des résultats satisfaisants mais il existe toutefois un risque de récidive déjà décrit. Dinh et al. décrivaient 59% de récidives anatomiques et 47% de récidives ayant un impact fonctionnel [3]. Comme toutes les dystrophies liées à des mutations du gène de la kératoépithéline, la dystrophie de Reis-Bücklers récidive après traitement. Le délai de récidive dépend de la mutation en cause.
Ce risque de récidive a été décrit même chez les patients initialement traités par kératoplastie : en effet, Eggink et al. ont décrit une récidive moyenne 13 ans après la greffe. Après traitement de ces récidives par PKT sur 6 yeux (3 greffés et 3 naïfs), aucune récidive n’a été retrouvée à 1 an [4].
Une autre option thérapeutique est la PKT associée à un traitement peropératoire par mitomycine C. Un case report de Miller et al. présente cette technique avec une efficacité sans récidive à 1 an chez une patiente ayant systématiquement récidivé moins de 6 mois après 2 PKT réalisées à plus de 1 an d’intervalle. Cette adjonction paraît donc intéressante chez les patients récidivant malgré le traitement de surface [5].
Nishino et al. ont par ailleurs montré une efficacité fonctionnelle à l’électrolyse cornéenne sur 12 yeux sur une période de suivi de 10 ans. La dystrophie récidivait en moyenne à 3 ans, mais il était possible de répéter l’intervention. La technique était recommandée par cette équipe devant une récupération visuelle rapide, par comparaison avec les autres méthodes existantes [6]. La récupération fonctionnelle était néanmoins modeste (gain de 3 lignes d’acuité visuelle en moyenne) et les opacités persistaient, bien que moins réflectives et moins épaisses, après traitement.
La PKT semble donc toutefois indiquée en première intention en raison de ses résultats satisfaisants et de son accessibilité. Après plusieurs récidives, on peut préconiser un traitement combiné PKT et mitomycine C. Et en cas d’échec ou de lésions plus profondes, kératoplastie lamellaire antérieure profonde devient nécessaire.
Références bibliographiques
[1] Waring 3rd GO, Rodrigues MM, Laibson PR. Corneal dystrophies. I. Dystrophies of the epithelium, Bowman’s layer and stroma. Surv Ophthalmol. 1978;23(2):71-122.
[2] Atia R, Jouve L, Georgon C et al. [Imaging of Reis-Bückler corneal dystrophy]. J Fr Ophtalmol. 2019;42(1):105-7.
[3] Dinh R, Rapuano CJ, Cohen EJ, Laibson PR. Recurrence of corneal dystrophy after excimer laser phototherapeutic keratectomy. Ophthalmology. 1999;106(8):1490-7.
[4] Eggink FA, Geerards AJ, Beekhuis WH. Recovery of the visual acuity in a family with Reis–Bückler dystrophy. Cont Lens Anterior Eye. 2002;25(2):67-72.
[5] Miller A, Solomon R, Bloom A et al. Prevention of recurrent Reis-Bücklers dystrophy following excimer laser phototherapeutic keratectomy with topical mitomycin C. Cornea. 2004;23(7):732-5.
[6] Nishino T, Kobayashi A, Mori N et al. Clinical evaluation of electrolysis for Reis-Bücklers corneal dystrophies and in vivo histological analysis using anterior segment optical coherence tomography. Cornea. 2021;40(8):958-62.