Dystrophie de Cogan et lentilles multifocales
M. J., âgé de 70 ans, se présente en consultation de contrôle à 1 mois d’une chirurgie de la cataracte à l’œil droit, avec pose d’un implant torique unifocal. Le patient se plaint de céphalées, de vertiges et d’un important inconfort visuel.
Observation
On retrouve une acuité visuelle postopératoire à l’œil droit mesurée à 7/10e P2 (vs 4/10e P3 en préopératoire), et à l’œil gauche à 7/10e P2.
La mesure de la réfraction retrouve à droite +2,75 (-2,25 à 110°) (vs -2,50 en préopératoire), et à gauche -2,25 (-1,00 à 80°).
L’examen clinique met en évidence une dystrophie de Cogan modérée, avec une atteinte plus importante à droite.
Le patient déclare n’avoir jamais eu de douleur ni ressenti de gêne visuelle en portant des lunettes progressives au cours des dernières années.
Plusieurs thérapeutiques à visée optique sont possibles afin de réduire l’anisométropie :
- l’explantation associée à un changement d’implant, avec un risque d’endophtalmie, de décompensation cornéenne et d’incertitude sur la puissance à choisir ;
- l’équipement optique par lunettes avec, comme inconvénient, la nécessité de devoir dégrader la correction d’un œil ;
- le débridement mécanique épithélial, qui ne propose pas de correction optique et présente un risque de décompensation future ;
- la photokératectomie thérapeutique, avec un risque de décompensation future mais pouvant réduire l’anisométropie ;
- l’équipement optique par lentilles permet de réduire l’anisométropie, est facilement réversible et rapide. Le risque infectieux persiste, tout comme la nécessité d’un double équipement lentilles/lunettes.
Après discussion avec le patient, aucun geste invasif n’est retenu. Dans un premier temps, l’équipement en lunettes choisi par le patient ne sera pas toléré. L’essai de lentilles est proposé et accepté, mais M. J. insiste pour de la simplicité.
Nous testons dans un premier temps une monovision simple avec une seule lentille unifocale torique à l’œil droit, sans correction à l’œil gauche. L’acuité visuelle retrouve 8/10e à droite et 8/10e P6 à P4 en binoculaire. Le patient n’est pas satisfait de loin comme de près.
Une correction simple avec lentilles unifocales toriques binoculaires et verres loupes est alors essayée.
La vision est acceptable mais le patient refuse le port de lunettes.
M. J. confirme qu’il n’acceptera pas une correction en lentilles associée à des verres loupes. Il insiste pour un port de lentilles occasionnel et privilégie la vision de loin et intermédiaire. Nous proposons donc une monovision aménagée avec lentille multifocale torique à droite et unifocale torique à gauche. L’ensemble sera insuffisant en vision de près.
Finalement, M. J. nous informe vouloir aussi une bonne qualité de vision de près. Nous sommes face à un patient dont l’avis change souvent et qui ne semble pas accepter sa maladie. Il est nécessaire de bien lui réexpliquer la pathologie face à son niveau d’exigence.
Nous tentons alors une correction en lentilles multifocales bilatérales avec une addition de 2 dioptries. L’acuité visuelle binoculaire est de 10/10e P3.
Le patient semble pour la première fois adhérer à la prise en charge, malgré une vision qui lui semble « limite » : il accepte l’essai des lentilles au domicile.
Après quelques semaines, M. J. remarque qu’il porte ses lentilles quotidiennement, pendant plusieurs heures et sans inconfort, et qu’il n’utilise aucun verre loupe. Alors qu’il était réticent au départ, il effectue de lui-même les démarches auprès d’opticiens afin d’avoir le meilleur devis possible.
Discussion
En définitive, lors des différentes consultations, les lentilles ont permis une stabilité de l’acuité visuelle malgré la variation importante des valeurs réfractives due à la dystrophie, sans grandes modifications des paramètres en lentilles.
La prise en charge en contactologie est intéressante ici, car elle permet une meilleure vision binoculaire ainsi qu’une protection mécanique en assurant une bonne hydratation cornéenne. L’optimisation visuelle est plus simple à réaliser qu’en lunettes, notamment devant le panel important de paramètres.
L’examen rigoureux de la cornée en consultation préopératoire est primordial afin d’éviter toute erreur réfractive en consultation postopératoire, bien que certaines dystrophies de Cogan ne s’expriment totalement qu’après une chirurgie.
L’adaptation nous a permis de gagner du temps afin que le patient accepte sa pathologie car :
- en cas d’évolution de l’astigmatisme et de la dystrophie, des lentilles rigides ou une PKT sont à envisager ;
- lors d’une future prise en charge d’une cataracte à l’œil gauche, le patient devra décider de l’objectif réfractif, notamment si l’œil droit reste à la même réfraction.
Pour en savoir plus
Ho VW, Stanojcic N, O’Brart NA, O’Brart DP. Refractive surprise after routine cataract surgery with multifocal IOLs attributable to corneal epithelial basement membrane dystrophy. J Cataract Refract Surg. 2019;45(5):685-9.
Bellucci C, Paolo Mora P, Tedesco SA et al. Acuity and quality of vision in eyes with epithelial basement membrane dystrophy after regular pseudophakia. J Clin Med. 2023;12(3):1099.