Des tumeurs rares dont la prise en charge doit être précoce et multidisciplinaire
Des tumeurs rares dont la prise en charge doit être précoce et multidisciplinaire Retour sur la présentation du rapport 2022 de la SFO Le rapport 2022 de la SFO Oncologie oculaire se présente sous la forme d’un atlas, images accompagnées de textes courts, destiné à une utilisation pratique. Parallèlement à la version électronique, une application pour smartphone a été développée. Le parcours de soins (Plans cancer, INCa) doit comporter un dispositif d’annonce, des décisions thérapeutiques en RCP (Réunions de concertation pluridisciplinaires) et un plan personnalisé de soins, dans le respect des référentiels. Il garantit des soins de support, l’accès des patients aux innovations thérapeutiques et aux essais cliniques, ainsi qu’un programme d’après cancer, pour un retour à une vie la plus normale possible et à l’emploi.
Reconnaître et caractériser les tumeurs de la surface
Comment distinguer lésions bénignes de la surface oculaire (les plus fréquentes) et malignes (rares), dont la prise en charge doit être précoce, rapide, adaptée et la plus conservatrice possible tout en réduisant le risque métastatique ? Toute lésion suspecte doit faire l’objet de photos, schémas et mesures précises. Différents signes orientent vers un nævus conjonctival, comme l’ancienneté, une pigmentation relativement contrôlée et l’absence d’atteinte cornéenne. À l’inverse, une nouvelle lésion pigmentée apparue vers l’âge de 40/60 ans et modifiée récemment, dont la pigmentation envahit la cornée, évoque un mélanome conjonctival.
Autre exemple, le diagnostic de carcinome épidermoïde est non seulement visuel mais aussi sensitif ; en effet, la palpation à l’aide d’une lancette révèle que la lésion, sessile et progressivement croissante au cours des derniers mois ou semaines, est ferme ; un infiltrat gélatineux de la surface (cornée) fait aussi partie des signes. Un papillome est quant à lui pédiculé et plus souple ; après une phase de croissance, il se stabilise.
Il faut également veiller à ne pas méconnaître un mélanome achrome et à le distinguer d’un granulome réactionnel. S’il peut croître rapidement, ce dernier tend à céder au moins partiellement sous corticothérapie topique.
Une mélanose primitive acquise précancéreuse de Reese (prolifération mélanocytaire atypique intraépithéliale, aspect « poivre et sel ») peut faire le lit d’un mélanome invasif ; un suivi est nécessaire, qui permet de poser le diagnostic au plus tôt le cas échéant. La mélanose ethnique (mélanoderme) n’est quant à elle pas évolutive. Le nævus d’Ota (mélanocytose oculodermique, teinte ardoisée cutanée et épisclérale) augmente le risque mélanome uvéal.
Enfin, les lésions peuvent intéresser la conjonctive tarsale supérieure, il faut donc penser à l’examiner.
Histologie : des règles à connaître
Devant une lésion suspecte de la surface oculaire, l’examen histologique est indispensable. Cependant les biopsies sont proscrites en raison des risques de dissémination, d’autant qu’elles pourraient aussi méconnaître un contingent infiltrant. La biopsie exérèse en bloc est donc recommandée, et doit répondre à des règles carcinologiques strictes : anesthésie générale (AG) et changement d’instruments au moment de la fermeture notamment. En pathologie strictement conjonctivale, il convient de ne pas placer de repères, notamment de fil, dont l’ablation détruirait la pièce (une pointe d’encre peut en revanche être déposée) ; l’interprétation des marges doit rester prudente. À la pièce d’exérèse, il faut systématiquement adjoindre un schéma, des photos préopératoires (indispensables aussi pour le suivi et les plans de traitement dans le cas d’une irradiation) et la fiche de renseignements (âge, évolutivité, antécédents de chirurgie, hypothèse diagnostique...) pour l’interprétation des lames. Il ne faut pas hésiter à recourir à une deuxième lecture histologique.
Dans le cas de lésions pigmentées, le patient doit d’emblée être adressé au centre de référence ; en effet, une prise en charge inadaptée peut menacer son pronostic local et vital.
Lésion pigmentée du fond d’œil : quels signes d’orientation ?
Si certains signes plaident en faveur d’un nævus – épaisseur échographique inférieure à 2 mm, diamètre inférieur à 5 mm, drusen ou halo dépigmenté, qui témoignent de lésions chroniques stables –, une combinaison de facteurs permet de caractériser un mélanome ou d’évaluer le risque de croissance à 5 ans d’une lésion. Ils incluent les symptômes (phosphènes, baisse d’acuité visuelle), la taille de la tumeur, son aspect clinique (pigment orange) et échographique. L’évolutivité fait partie des signes des mélanomes (intérêt des photos répétées) qui peuvent aussi être responsables d’hémorragies intravitréennes. L’effraction de la membrane de Bruch et une croissance en champignon sont caractéristiques. Il ne faut jamais opérer un décollement de rétine (DR) sans échographie préalable si le moindre doute sur une lésion pigmentée sous-jacente existe.
Le risque métastatique des mélanomes de l’uvée est réel : 90% des métastases sont hépatiques et la médiane de survie est de 16 mois. La taille et les anomalies cytogénétiques de la tumeur renseignent sur le pronostic pour adapter le suivi.
Diagnostic différentiel du mélanome, l’hémangiome choroïdien circonscrit, rouge orangé et de préférence situé au pôle postérieur, s’en différencie en imagerie multimodale. En l’absence de symptômes, une surveillance annuelle et une autosurveillance sont indiquées. Les autres formes relèvent selon les cas de la photothérapie dynamique à la visudyne ou d’une protonthérapie (lésions très exsudatives).
D’autres lésions peuvent se présenter comme des pseudo-mélanomes : sclérite postérieure, tuberculome et hématome choroïdiens, mélanocytome (papille), hypertrophie congénitale de l’épithélium pigmentaire, hamartomes de la rétine, de l’épithélium pigmentaire ou combinés. Là encore, le siège des lésions, leur aspect, l’imagerie, voire un bilan inflammatoire et une surveillance rapprochée orientent. Pour rappel, seul le fond d’œil par verre à 3 miroirs permet de poser le diagnostic d’un petit mélanome du corps ciliaire.
Métastases choroïdiennes : souvent un stade ultime
Lésions uniques ou multiples du fond d’œil (FO), en général en plateau ou en dôme associées à un décollement séreux rétinien, elles siègent préférentiellement au pôle postérieur. Leur teinte, le plus souvent jaune pâle, peut varier avec le type histologique et être modifiée par les rétinophotos grand champ. Leur dépistage systématique n’est pas indiqué mais les cancers du poumon (aspect échographique typique) et du sein, chez la femme, en sont les premiers pourvoyeurs ; 80% des métastases sont unilatérales et peuvent soulever la question du diagnostic différentiel. Le diagnostic positif est plus ou moins facile selon que le cancer est connu ou pas, actif ou non. L’imagerie multimodale est très utile et la prise en charge dépend notamment du bilan d’extension local et général.
Différentes complications radiques
Sur le plan local, la protonthérapie est carcinologiquement efficace contre les mélanomes chororoïdiens, mais conserver la vision et la qualité de vie est un enjeu de taille. La rétinopathie radique, souvent associée à une maculopathie, apparaît en général 19 à 24 mois après l’irradiation et est présente dans 60 à 85% des cas à 5 ans. Il s’agit d’une vasculopathie occlusive progressive. Les territoires de non-perfusion rétiniens peuvent se compliquer de néovaisseaux prérétiniens et iriens, donc d’un DR exsudatif, d’une hémorragie intravitréenne voire d’un glaucome néovasculaire. Le traitement de la rétinopathie radique doit par conséquent être très précoce. Celle-ci doit cependant être distinguée du syndrome de tumeur toxique : libération massive de VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) du fait de la nécrose tumorale après irradiation. La papillopathie radique associe quant à elle souffrance ischémique et inflammation, plus ou moins prononcée, 1 à 2 ans après l’irradiation.
Les approches préventives et curatives ont beaucoup évolué.
L’annonce d’une maladie grave nécessite une formation spécifique
Le modèle de communication centrée sur le patient repose sur une relation qui permet de comprendre les représentations du patient, que l’on associe aux décisions concernant la prise en charge de sa maladie et à qui l’on offre un soutien psychologique. Grâce à l’empathie et à la confiance, cette démarche réduit non seulement l’anxiété, les plaintes et l’incertitude, mais peut aussi limiter l’épuisement professionnel des cliniciens. Lors de la consultation d’annonce, certaines attitudes inhibent à l’inverse la communication : ignorer les difficultés, ne s’intéresser qu’aux signes physiques, rassurer prématurément, poser trop de questions, interrompre le patient, éviter, se distancer…
Rétinoblastome : une urgence thérapeutique
L’âge de découverte des rétinoblastomes décrit 2 pics : autour de 12 et de 24 mois. La maladie est encore mal connue du grand public, voire des professionnels de santé.
Le signe d’appel le plus fréquent reste la leucocorie, qui impose un FO en urgence. Elle témoigne cependant déjà d’une tumeur évoluée. En tant que signe d’appel, le strabisme est moins fréquent (20%), mais de meilleur pronostic (tumeur maculaire de petite taille, donc prise en charge plus précoce). Tout strabisme impose de réaliser un FO afin d’éliminer une cause organique. Le diagnostic différentiel le plus fréquent du rétinoblastome est la maladie de Coats.
D’autres tableaux sont trompeurs, comme une buphtalmie ou une inflammation palpébrale/orbitaire. Si le FO est inaccessible, l’imagerie (échographie ou IRM) est indispensable : la présence d’une masse intraoculaire calcifiée confirme le diagnostic. Ce dernier est encore plus difficile dans le cas d’un rétinoblastome infiltrant diffus chez un enfant plus grand ; la tumeur peut simuler une uvéite postérieure, voire une panuvéite avec hypopion mais dans un œil relativement calme. Après dilatation pupillaire, l’examen du FO n’objective pas de masse tumorale mais de gros flocons vitréens. L’imagerie n’est pas toujours contributive. Un DR atypique, avec épaississement rétinien, doit alerter. Enfin l’association de pathologies oculaires (ex. : colobome) ajoute à la complexité.
Le dépistage du rétinoblastome (FO sous AG) est systématique devant un syndrome malformatif avec anomalie du chromosome 13 et chez les enfants dont les parents ont été atteints ou qui portent l’anomalie du gène RB1 (inactivation).
Le traitement et le suivi du rétinoblastome sont très codifiés. Il guérit dans près de 98% des cas dans les pays à revenus élevés. L’enfant et sa famille doivent bénéficier d’un conseil génétique.
Deux films ont été projetés
L’institut Curie est centre de référence pour le diagnostic et le traitement des rétinoblastomes. Le fond d’œil sous AG et la consultation de pédiatrie ont lieu le même jour et des explications sont délivrées aux parents. Les indications thérapeutiques sont discutées au cours des RCP, qui associent ophtalmologistes, radiologues, pédiatres, radiothérapeutes si nécessaire, et généticiens. On dispose aujourd’hui de différents traitements conservateurs autres que la radiothérapie, qui n’est quasiment plus utilisée. Le suivi personnalisé des enfants est assuré conjointement par les ophtalmologistes et les pédiatres de l’Institut.
La France compte deux plateaux de protonthérapie dédiés à l’œil, dont celui de l’institut Curie à Orsay. Le parcours patient comporte plusieurs étapes. La consultation d’ophtalmologie permet de poser diagnostic et indications thérapeutiques et d’effectuer les mesures. La pose des repères (clips) est une phase chirurgicale. La consultation d’oncologie revient sur les modalités, la préparation, les bénéfices attendus et les effets secondaires de la radiothérapie. Une séance de simulation confirme la position optimale pour le traitement, qui est délivré en 4 séances, 4 jours consécutifs. La concertation multidisciplinaire implique ophtalmologiste, oncologue radiothérapeute, techniciens de radiothérapie, physicien médical.
En bref
Depuis 2009, l’INCa a développé des réseaux de soins spécifiques afin de mieux orienter les patients, d’améliorer la qualité des soins et de faciliter la recherche clinique ; le réseau Mélachonat est coordonné par l’institut Curie, centre de référence pour le mélanome de l’uvée et le rétinoblastome. Les centres de compétences régionaux contribuent à assurer la couverture du territoire. Toute suspicion de tumeur maligne oculaire impose de faire appel à des centres experts. En termes notamment d’information du public, les associations, comme Rétinostop pour le rétinoblastome et Anpaco pour le mélanome uvéal, jouent un rôle majeur.
D’après les communications de Nathalie Cassou, Denis Malaise, Sandra Lassalle, Célia Maschi, Alexandre Matet, Laurence Rosier, Sacha Nahon-Estève, Thibaud Mathis, Sara Tick, Manuel Rodrigues, Anne Brédart, Sylvie Dolbeau, Livia Lumbroso-Le Rouic, Laurence Desjardins