Dépôts de matériel sous-rétiniens : les étiologies à rechercher
Les dépôts de matériel sous-rétiniens autofluorescents (SAD) peuvent être présents dans de nombreuses pathologies. Plusieurs mécanismes physiopathogéniques sont impliqués dans leur survenue, expliquant la grande diversité de pathologies associées. Aussi le diagnostic étiologique peut-il être parfois difficile. La localisation et l’aspect de ces dépôts, ainsi que leur mode de survenue, aigu ou chronique, sont autant d’éléments qui vont aider à orienter le diagnostic.
Les SAD sont des débris localisés entre l’épithélium pigmentaire (EP) et les photorécepteurs (PR) et sont typiquement autofluorescents en lumière bleue. Les progrès d’imagerie établis sur la tomographie en cohérence optique (OCT) ont permis d’affiner les analyses et de montrer que si certains dépôts autofluorescents étaient bien sous-rétiniens, d’autres pouvaient être localisés au sein même de l’EP, avec des aspects très hétérogènes selon les étiologies et les mécanismes physiopathogéniques responsables.
Classification des SAD selon leur origine et mécanismes physiopathogéniques impliqués
Cinq types de mécanismes physiopathogéniques ont été identifiés, permettant de classer les dépôts selon leur origine :
- détérioration intrinsèque de la phagocytose et du transport des protéines (maladies génétiques) ;
- atteinte indirecte de l’EP avec détérioration de la phagocytose des PR (maladies immunitaires ou inflammatoires) ;
- excès de la capacité de phagocytose de l’EP (DMLA) ;
- atteinte directe de l’EP entraînant une libération de lipofuscine (tumeurs) ;
- décollement séreux rétinien (DSR) chronique entraînant une détérioration mécanique de la phagocytose des PR (CRSC chronique).
Étiologies des SAD
Les étiologies, nombreuses, sont classées par catégories.
Maladies héréditaires
Certaines maladies génétiques sont associées à des SAD, avec des aspects parfois caractéristiques.
Bestrophinopathies
Maladie de Best : c’est une des dystrophies maculaires les plus fréquentes, de transmission autosomique dominante due à des mutations du gène BEST1. L’électro-oculogramme est typiquement altéré, avec un rapport d’Arden inférieur à 1,5. Les dépôts sont situés dans l’espace sous-rétinien et peuvent prendre des aspects différents selon l’évolution. L’aspect typique du disque vitelliforme (lésion arrondie autofluorescente) va ensuite évoluer vers une image en pseudo-hypopion avec la fragmentation du matériel. Les stades évolués sont marqués par la survenue d’une atrophie maculaire.
Bestrophinopathie autosomale récessive : dans cette maladie rare, l’aspect peut être assez typique, avec un granité du fond d’œil associé à des kystes rétiniens et à des ponctuations hyper-autofluorescentes en bordure de la lésion. L’évolution est marquée par la survenue de zones d’atrophie de l’EP.
Maladie de Stargardt
C’est la maladie héréditaire la plus fréquente, de transmission habituellement autosomique récessive, due à des mutations du gène ABCA4 localisé sur le chromosome 1p13. Elle est caractérisée par une atrophie maculaire associée à des dépôts jaunâtres « pisciformes » autour de la macula et au pôle postérieur, mais épargnant la région péripapillaire. Les formes périphériques dites flavimaculées surviennent plus tardivement, avec une épargne fovéolaire transitoire et une baisse visuelle plus tardive.
Diabète et surdité hérités de la mère (Maternally inherited diabetes and deafness [MIDD])
Dans cette pathologie mitochondriale, l’image typique du fond d’œil associe de nombreux SAD ponctiformes à des plages d’atrophie paracentrales situées à distance du point de fixation (figure 1). La région péripapillaire n’est pas épargnée dans cette maladie.
Dystrophies réticulées
Les dystrophies réticulées regroupent de nombreux phénotypes, incluant entre autres la dystrophie pseudo-vitelliforme de l’adulte, les dystrophies réticulées en aile de papillon, les dystrophies réticulées de l’EP, les pseudo-Stargardt, les fundus pulverulentus.
Dystrophie aérolaire centrale choroïdienne
Cette dystrophie héréditaire choroïdienne de transmission autosomique dominante peut s’associer à des lésions autofluorescentes variées parafovéolaires. Elle évolue vers une atrophie centrale hypo-autofluorescente de l’EP parfois entourée d’une petite bande hyper-autofluorescente aux stades tardifs.
Pseudoxanthome élastique
Il s’agit d’une affection héréditaire rare du tissu conjonctif, caractérisée par une calcification ectopique progressive et une fragmentation des tissus élastiques touchant essentiellement la peau, l’œil et les vaisseaux. La transmission est autosomale récessive, due à des mutations du gène ABCC6. Les lésions typiques du fond d’œil sont les stries angioïdes, l’aspect en peau d’orange temporo-maculaire, les taches saumon, les dépôts de cristaux et les druses papillaires. Les stries angioïdes sont hypo-autofluorescentes et peuvent s’associer à des dépôts hyper-autofluorescents péripapillaires (figure 2).
Maladies congénitales et/ou malformations
Nanophtalmies et microphtalmies
Des lésions multiples autofluorescentes en aspect de taches léopard ont été décrites dans des cas d’effusion uvéale. Ces taches correspondent à des épaississements de l’EP lors des DSR chroniques.
Fossettes colobomateuses
Elles peuvent s’associer à des DSR chroniques, entraînant la survenue de flecks hyper-autofluorescents jaunâtres qui correspondent à de probables débris de PR.
Dysversions papillaires
Elles peuvent s’accompagner de DSR chroniques, qui pourraient être liés aux turbulences du flux choroïdien à la jonction entre le staphylome inférieur et la zone non staphylomateuse du fond d’œil. Un dépôt vitelliforme fovéolaire peut s’associer au DSR chronique.
Maladies dégénératives avec dépôts extracellulaires
Maculopathie liée à l’âge
Les drusen séreux, les drusen réticulés, les décollements de l’EP, les drusen cuticulaires peuvent s’associer à des SAD. Ces dépôts seraient dus à un défaut de phagocytose des segments externes des PR, lié à la présence de fluide sous-rétinien ou à un excès de lipofuschine dans l’EP.
Atrophie géographique
Les plages d’atrophie de l’EP sont caractérisées par des zones d’hypo-autofluorescence, souvent bordées par des zones hyper-autofluorescentes en bandes ou ponctiformes. Ces zones correspondraient à l’ingestion de matériel fluorescent relargué par les cellules atrophiées de l’EP, à la diminution de la dégradation du matériel fluorescent par l’EP déjà altéré ou à la superposition des cellules de l’EP sur les bords de l’atrophie.
Dégénérescence maculaire liée à l’âge exsudative
Elle peut être associée à de petits SAD secondaires à des DSR chroniques.
Amylose
Il s’agit d’une maladie de surcharge surtout responsable d’opacités vitréennes, mais parfois de petits SAD.
Glomérulonéphrites membrano-prolifératives
Dans les types 2, on observe la présence de drusen cuticulaires mais des SAD ont été décrits par accumulation de lipofuscine dans l’EP épaissi.
Anomalies de l’interface
Les membranes épimaculaires peuvent s’associer à de petits dépôts de matériel sous-fovéolaires qui seraient liés à la traction vitréo-maculaire induite par la contraction de la membrane.
Tumeurs intraoculaires
Les hémangiomes choroïdiens et les tumeurs malignes intraoculaires se manifestent souvent par la présence de SAD. L’accumulation de lipofuscine peut être retrouvée dans les hémangiomes choroïdiens, dans les métastases et dans les mélanomes choroïdiens sous la forme de pigment orange.
Lymphome vitréo-rétinien
Le lymphome primitif diffus à grandes cellules B vitréo-rétinien est un lymphome de haut grade de malignité. On observe des opacités vitréennes et des lésions sous-rétiniennes blanc-jaunâtre, avec parfois un aspect assez caractéristique en taches léopard en autofluorescence du fond d’œil.
Immunoglobulinopathies ou gammapathies monoclonales bénignes et malignes
Le myélome multiple, la maladie de Waldenström peuvent s’associer à des dépôts pseudo-vitelliformes centraux. Les gammapathies monoclonales bénignes peuvent s’accompagner de zones de soulèvement multiples de la rétine neurosensorielle hyper-autofluorescentes par accumulation d’immunoglobulines à fort pouvoir osmotique dans l’espace sous-rétinien.
Maladies auto-immunes, inflammatoires et infectieuses
Toutes les maladies inflammatoires peuvent s’accompagner de SAD. L’AZOOR est assez caractéristique, avec une image hypo-autofluorescente péripapillaire entourée de taches hyper-autofluorescentes en bordure. L’acute exsudative polymorphous vitellifome maculopathie est un syndrome associant de multiples dépôts jaunâtres symétriques et confluents au niveau de la macula et des arcades vasculaires. Ce syndrome survient en général après un épisode viral et régresse spontanément, mais il faut éliminer un syndrome paranéoplasique possible.
Pachychoroïde
Le spectre des pachychoroïdes est large mais la présence de dépôts est fréquente. On peut en retrouver dans l’épithéliopathie associée à la pachychororoïde, dans les poussées de CRSC et dans les syndromes de pachychoroïde péripapillaire.
Rétinopathies toxiques et iatrogènes
Nombreux sont les médicaments qui peuvent donner des SAD. Nous citerons quelques exemples comme le Desferal, les inhibiteurs du checkpoint, le mannitol, le pentosan.
Autres causes
Brûlures par pointeur laser, éclampsie, plis choriorétiniens.
Classification des SAD selon leur aspect clinique
Les étiologies des SAD sont nombreuses. Aussi, afin d’orienter le diagnostic, nous proposons une classification clinique fondée sur leur forme, leur nombre, leur localisation, leur mode de survenue (figure 3).
La figure 4 montre un exemple des diagnostics possibles associés à des dépôts localisés dans la macula en fonction de leur aspect au fond d’œil.
Conclusion
Les SAD sont fréquents et peuvent être associés à de nombreuses étiologies. Si le diagnostic peut être aisé à l’examen du fond d’œil dans certaines pathologies purement ophtalmologiques, il peut parfois nécessiter des investigations très complètes pour identifier une maladie causale générale risquant de menacer le pronostic vital. L’autofluorescence apparaît ainsi comme un examen non invasif facile à réaliser pour identifier les SAD avant d’envisager une imagerie multimodale. La localisation, la forme, le nombre de SAD peuvent déjà orienter le clinicien avant la réalisation d’examens plus invasifs.
Pour en savoir plus
Cohen SY, Chowers I, Nghiem-Buffet S et al. Subretinal autofluorescent deposits: A review and proposal for clinical classification. Surv Ophthalmol. 2023. Jun 29:S0039-6257(23) 00094-2.
Spaide R. Autofluorescence from the outer retina and subretinal space: Hypothesis and review. Retina. 2008;28(1):5-35.
Schmitz-Valckenberg S, Pfau M, Fleckenstein M et al. Fundus autofluorescence imaging. Prog Retin Eye Res. 2021;81:100893.
Boon CJ, Klevering BJ, Keunen JE et al. Fundus autofluorescence imaging of retinal dystrophies. Vision Res. 2008;48(26):2569-77.
Almeida A, Kaliki S, Shields CL. Autofluorescence of intraocular tumours. Curr Opin Ophthalmol. 2013;24(3):222-32.