Conduite à tenir devant un larmoiement chronique chez l’adulte

Le larmoiement est le symptôme de plusieurs grands cadres nosologiques et peut être très handicapant. Un bon interrogatoire et un examen clinique de première intention permettent généralement d’identifier l’étiologie, très souvent en lien avec des anomalies de la surface oculaire ou des malpositions palpébrales. L’examen des voies lacrymales n’est pas toujours nécessaire devant un larmoiement chronique.

Le larmoiement est un motif très fréquent de consultation en ophtalmologie. De nombreuses étiologies peuvent être responsables de cette symptomatologie. L’interrogatoire et l’examen clinique du patient sont primordiaux et permettent d’identifier la cause dans la grande majorité des cas, donnant ainsi lieu à une prise en charge simple et efficace.

Rappels anatomiques

La glande lacrymale est située dans l’orbite, sous le rebord supéro-externe (figure 1). Elle est innervée par le nerf trijumeau, également responsable de l’innervation cornéenne.

Ses canaux excréteurs débouchent dans le cul-de-sac conjonctival supérieur. Les larmes sont ensuite étalées sur la surface par les clignements et recueillies dans la gouttière constituée par le rebord de la paupière inférieure et le globe oculaire. Puis elles sont évacuées par les méats lacrymaux situés sur le bord libre des paupières supérieure et inférieure au niveau du canthus interne, et cheminent dans les canalicules jusque dans le canal d’union, le sac lacrymal et enfin le canal lacrymonasal qui s’abouche dans le nez au niveau du méat inférieur.
Physiologiquement, les méats lacrymaux doivent être au contact du globe pour permettre le drainage des larmes dans les canalicules, et la lumière des canalicules et canaux doit être suffisamment ouverte pour permettre l’évacuation des larmes jusque dans le nez.

Anamnèse et examen clinique

Anamnèse
En premier lieu, il convient de préciser :
- la durée d’évolution et le caractère aigu ou chronique ;
- le caractère uni- ou bilatéral ;
- le caractère permanent ou intermittent ;
- les facteurs favorisants (vent, froid, saisonnier) ;
- la présence d’épisodes infectieux associés ;
- les signes fonctionnels associés (douleur, photophobie, signes ORL, etc).

Examen clinique
L’examen clinique permet ensuite d’affiner l’orientation diagnostique. Dans le cas d’un larmoiement aigu, il recherche des signes de pathologies aiguës responsables du larmoiement, à savoir les kératites, les conjonctivites ou encore les uvéites. Si le larmoiement est chronique, un examen clinique scrupuleux est primordial.

Examen de la surface oculaire
Recherche de signes de sécheresse et/ou de kératoconjonctivite allergique : kératite ponctuée superficielle (KPS), blépharite, dysfonction des glandes de Meibomius, hyperhémie conjonctivale, présence de papilles conjonctivales.

Examen des paupières
- Recherche d’une malformation ou d’une sténose des méats lacrymaux.
- Recherche d’une malposition palpébrale (ectropion, entropion) et d’un trichiasis.
- Recherche d’un eczéma des paupières.
- Examen de la région du sac lacrymal et palpation, à la recherche d’une tuméfaction du sac lacrymal (dacryocystocèle) et/ou d’une issue de sécrétions par les méats lacrymaux à la pression sur le sac.

Examen des voies lacrymales
Une fois les étiologies « évidentes » éliminées, un testing des voies lacrymales est indiqué, qui peut se révéler très informatif. Cet examen se fait en consultation, après instillation d’une goutte d’oxybuprocaïne, et de façon bilatérale. Après dilatation des méats lacrymaux à l’aide d’un dilatateur, puis d’un sondage d’un ou des canalicules à la recherche d’un contact osseux (signe d’une bonne perméabilité du canalicule et du canal d’union), on injecte du sérum physiologique dans le canalicule grâce à une canule à voie lacrymale. Le sérum doit théoriquement progresser sans résistance jusque dans le nez du patient, qui sent le liquide s’écouler dans le nez ou dans la gorge. Dans le cas d’une sténose (complète ou partielle), l’opérateur peut constater un reflux, une résistance, voire une absence de passage du sérum physiologique.

Dans ces cas-là, la suite de la prise en charge nécessite la réalisation d’un dacryoscanner afin de localiser précisément la sténose et de dépister une éventuelle masse compressive sur les voies lacrymales. Ainsi, à l’issue de l’examen clinique, le diagnostic et la prise en charge sont mis en évidence dans la majorité des cas (figure 2).

Étiologies et prise en charge

Le larmoiement chronique peut être présent dans 3 principaux cadres nosologiques : les anomalies de surface, les anomalies palpébrales et les anomalies des voies lacrymales.

Anomalies de surface
Une surface inflammatoire, souvent dans un contexte de blépharite chronique, peut être responsable d’un larmoiement inflammatoire. Celui-ci est très souvent intermittent, majoré dans le cas d’une agression extérieure (froid, vent, etc.). La prise en charge de la surface par des soins de paupières, des cures d’azythromycine topique ou par doxycycline per os et des mouillants permet, dans la majorité des cas, d’améliorer les symptômes. Si le traitement de première intention échoue, un traitement anti-inflammatoire par cure courte de corticoïdes et/ou par ciclosporine faiblement dosée (0,05 ou 0,1%) peut s’avérer très efficace. Certains utilisent de la toxine botulique injectée dans la glande lacrymale pour diminuer la production de larmes.

Une conjonctivite chronique allergique peut entraîner un larmoiement chronique. Celui-ci peut être perannuel ou saisonnier. La présence d’une hyperhémie conjonctivale et de papilles oriente le diagnostic. Un traitement topique par antidégranulants mastocytaires et/ou antihistaminiques H1, associé à des mouillants, permet une prise en charge efficace.

Anomalies palpébrales
Un ectropion du méat lacrymal inférieur (et a fortiori de toute la paupière inférieure) est responsable d’un larmoiement par absence de drainage des larmes par le méat lacrymal inférieur, qui n’est plus au contact du globe oculaire. La prise en charge est alors chirurgicale, permettant un repositionnement de la paupière.

Un entropion est responsable d’une irritation de la surface oculaire par frottements répétés des cils. De même, une prise en charge chirurgicale corrigera cette malposition. À noter que certaines malpositions congénitales des paupières telles que les épiblépharons peuvent également entraîner un frottement des cils. Enfin, les trichiasis et districhiasis sont aussi responsables de larmoiement par ce même mécanisme de frottements des cils.

Certaines formes d’eczéma palpébral peuvent générer une irritation de la surface, responsable d’un larmoiement. Il conviendra alors de traiter cet eczéma par une hydratation efficace, plus ou moins associée à des dermatocorticoïdes.

Une malformation ou une sténose d’un méat lacrymal entraîne l’absence de drainage des larmes. La prise en charge est chirurgicale pour ouvrir le(s) méat(s) sténosé(s).

Anomalies des voies lacrymales
Outre les anomalies des méats lacrymaux sus-citées (le plus souvent sténosés), d’autres étiologies sont responsables d’un larmoiement chronique par blocage mécanique sur le trajet d’évacuation des larmes. Le larmoiement est permanent et peut être uni- ou bilatéral.
Le plus souvent, on retrouve un blocage par hypertrophie muqueuse de la portion canalaire (verticale) de la voie lacrymale, par sténose de la valve de Hasner ou encore en cas de dacryolithes. Ces sténoses sont souvent responsables d’un dacryocystocèle en amont.
De façon moins fréquente, on peut trouver une sténose canaliculaire, du canal d’union ou de la valve de Rosenmüller.
Certaines masses sur le trajet de la voie lacrymale peuvent entraîner un larmoiement par compression.
Dans tous les cas, une imagerie par dacryoscanner est indispensable pour déterminer la localisation et la cause de la sténose, afin de proposer une prise en charge adéquate (intubation et sondage de la voie lacrymale, dacryocystorhinostomie, lacorhinostomie).

Au total, un larmoiement chronique est le symptôme de nombreuses pathologies et peut avoir un retentissement important sur la qualité de vie des patients. Un examen clinique et un interrogatoire minutieux permettent dans la majorité des cas de dépister l’étiologie, et ce sans sonder systématiquement les voies lacrymales. L’échec d’un traitement médical bien conduit devant une anomalie de surface motivera un examen approfondi des voies lacrymales, car le larmoiement peut se révéler être multifactoriel.

Pour en savoir plus
Ducasse A, Adenis JP, Fayet B et al. Les voies lacrymales. Rapport SFO 2006. Elsevier Masson : Paris. 2006.
Olver J. Anatomie et physiologie du système lacrymal. EMC (Elsevier SAS, Paris), Ophtalmologie, 21-006-A-25, 2006.
Jeffers J, Lucarelli K, Akella S et al. Lacrimal gland botulinum toxin injection for epiphora management. Orbit. 2022;41(2):150-61.
Shin JH, Kim YD, Woo KI. Impact of epiphora on vision-related quality of life. BMC Ophthalmol. 2015;15:6.

Auteurs

  • Gwénola Drouglazet

    Ophtalmologiste

    Centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts, Paris

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