Comprendre les implants EDOF et multifocaux pour faire les bons choix !
Ce premier article didactique, d’une série de 2, a pour but de comprendre le mode d’action des différents implants multifocaux et EDOF pour permettre aux chirurgiens d’interpréter les sémantiques et néologismes marketing de l’industrie.
Supprimer les verres correcteurs après une chirurgie de la cataracte ou lors d’une chirurgie réfractive de type Prelex est un objectif des chirurgiens et des fabricants depuis de nombreuses années. Les centres de recherche et développement proposent différentes solutions pour atteindre cet objectif.
La confusion règne également sur la terminologie « EDOF, diffractif/réfractif, asphérique/interférences constructives / pseudo non diffractif/réfractif ».
Bien que les principes découlant de la nature ondulatoire et corpusculaire de la lumière soient complexes, on remarquera que tous les implants multifocaux et EDOF utilisent les mêmes technologies de base, avec quelques variantes parfois associées. La compréhension du fonctionnement des différents types d’implants permettra au chirurgien de choisir le dispositif le plus adapté aux besoins spécifiques du patient.
Les performances des optiques, évaluées sur banc d’essai, doivent également être confrontées à leur tolérance devant des variations anatomiques individuelles du globe oculaire [1].
Les implants offrent différentes options pour privilégier la vision de loin, la vision intermédiaire ou la vision de près. Le chirurgien devra, lors de l’entretien préopératoire, s’enquérir du mode de vie du patient et répondre à son attente pour éviter des déconvenues.
Un implant multifocal ou à profondeur de champ étendue (EDOF) est un compromis, mais également un choix de vie !
Les différents types d’optiques
Il y a 2 façons d’augmenter la profondeur de champ (figure 1) :
- soit par la création de plusieurs focales (diffractives et réfractives). L’énergie incidente est répartie sur ces focales. Les limites reposent sur la quantité d’énergie destinée à chaque focale, loin, intermédiaire et près ;
- soit par étalement d’une focale. Mais plus on étale la focale, plus on perd en qualité de vision et plus on s’expose à des effets délétères en fonction des particularités anatomiques du patient [6] ;
- les optiques peuvent aussi proposer une association de ces 2 principes, multifocalité et étalement d’une des focales.
Les implants multifocaux
On distingue les implants diffractifs et les implants réfractifs.
Les implants à optique diffractive (figure 2)
Ils fonctionnent selon les lois de la physique ondulatoire et corpusculaire de la lumière. Lorsqu’un rayon incident traverse un point d’une optique diffractive, l’énergie lumineuse va se répartir et se concentrer selon des franges liées aux interférences constructives. Ces franges lumineuses correspondent aux ordres de diffraction.
Un implant intraoculaire diffractif est à la base un implant réfractif défini par sa puissance (exemple : implant de 22 D) sur lequel est sculptée une zone diffractive. La zone diffractive se présente sous la forme de ma rches concentriques autour d’une zone optique centrale. Le profil de la marche prend le plus souvent la forme d’un triangle scalène dont la longueur de la base va déterminer l’angle de déviation des franges lumineuses, et la hauteur le pourcentage d’énergie déviée. Plus la base est étroite, plus l’angle de déviation est important. Plus la hauteur est élevée, plus la quantité d’énergie lumineuse déviée est importante. La hauteur de ces marches est de quelques microns.
Une partie de l’énergie lumineuse traversant l’optique diffractive ne subira pas de déviation, c’est l’ordre 0. La direction globale de cette frange lumineuse non déviée correspondra à celle imprimée par la puissance réfractive de l’implant (exemple : 22 D).
L’intensité et la direction des franges déviées dépendront de l’architecture des marches diffractives. Dans la conception des implants, les ordres utilisés sont les ordres 0, 1, voire 2. Les ordres supérieurs à 2 ne sont pas utilisés car trop déviés. Ils correspondent à la perte d’énergie lumineuse d’un réseau diffractif et expliquent également une partie des effets photiques.
Les centres de recherche et développement des laboratoires établissent leurs objectifs à partir desquels les systèmes algorithmiques, itératifs ou non, permettront de dessiner le profil optique correspondant.
On comprend dès lors qu’il n’existe pas d’implant universel.
Les implants à optique réfractive
Ils fonctionnent selon les lois de la réfraction. Lorsque qu’un rayon incident traverse un point d’une optique réfractive, il est dévié selon une direction correspondant à la puissance réfractive de la zone optique traversée. L’énergie lumineuse traverse le plus souvent 2 zones réfractives de puissances dioptriques différentes et se concentre sur les 2 focales loin et près.
La transition entre ces 2 zones réfractives de puissances différentes peut se faire de façon progressive, asphérique, avec zone de transition, entraînant un effet EDOF par étalement de la focale.
Il existe 2 types d’implants réfractifs multifocaux, ceux à zones concentriques et ceux à zones non concentriques (superposées).
Les implants EDOF
Cette appellation utilisée pour les implants à profondeur de champ étendue est apparue la première fois en 2014 avec l’implant Symfony ZXR00. Sa mise sur le marché a fait appel à une sémantique très élaborée. Cet implant avait pour objectif d’obtenir une bonne vision loin/intermédiaire et une vision de près correcte, tout en limitant les effets délétères photiques (éblouissement, halos nocturnes). Malgré un secret de fabrication qui allait de pair avec le marketing, il est apparu très vite que cet implant EDOF était un implant diffractif basse addition +1,50 D (2,5). Ce premier implant EDOF était donc un implant diffractif [3].
Cette appellation a ensuite été utilisée pour un implant monofocal EDOF, l’implant Eyhance.
L’arrivée des implants monofocaux dits EDOF a encore augmenté la difficulté d’interprétation, laissant penser qu’un implant monofocal pouvait avoir les avantages du multifocal sans en présenter les inconvénients. Cela d’autant plus que l’objectif des implants multifocaux « full range » est également d’obtenir un effet pseudo-accommodatif pour une vision toutes distances.
Si on garde à l’esprit l’objectif initial des EDOF (monofocal ou multifocal), on retiendra que ces implants ont pour but d’obtenir un certain degré de profondeur de champ tout en limitant les effets délétères liés aux effets photiques. On pourra, dès lors, distinguer 2 types d’implants EDOF : les multifocaux, diffractifs ou réfractifs basse addition, et les monofocaux.
Les implants multifocaux EDOF diffractifs à basse addition
L’objectif est de concentrer l’énergie sur les focales loin et intermédiaire, de façon à disposer de plus d’énergie sur ces 2 foyers. L’addition est habituellement de +1,5 à +2,25 D. Des verres correcteurs d’appoint pour la vision de près peuvent être utiles.
Cette basse addition permet de réduire le nombre de marches sur l’optique diffractive car elles sont plus larges, et de diminuer leur hauteur car la proportion d’énergie déviée est moins importante. Les effets photiques sont statistiquement moins importants.
La zone diffractive occupe en général une zone concentrique de 3 à 4 mm, entourée d’une zone périphérique réfractive correspondant à la puissance dioptrique de l’implant (exemple : 22 D). Cette partie réfractive va participer à la vision de loin, lorsque la pupille s’élargit, et va additionner son action à celle de la frange de diffraction d’ordre 0. Ce type d’implant est parfois appelé « implant diffractif-réfractif » dans la sémantique marketing de certains laboratoires.
Les implants multifocaux EDOF réfractifs à basse addition
Les objectifs sont les mêmes que pour les diffractifs à basse addition. L’addition est de +1,25 à +2,25 D.
Il existe parfois, entre les 2 zones optiques, une zone de transition qui engendre des aberrations optiques sphériques pour obtenir un effet d’étalement de la focale (effet EDOF).
Certains laboratoires utilisent une sémantique entretenant la confusion en employant dans une même appellation « remplacement de la fonction accommodative du cristallin », « intensité lumineuse constante », « interférence constructive », « faisceau pseudo-non diffractif ».
Les implants monofocaux EDOF
Ils ont pour but d’augmenter la profondeur de champ en étalant une seule focale. Le principe optique consiste le plus souvent à prolatiser légèrement le centre de l’optique pour induire une aberration sphérique négative [7].
Les objectifs de ce type de focale ne peuvent être que modestes car l’étalement de la focale correspond à une diminution de l’énergie lumineuse sur la focale loin. La volonté d’étaler davantage la focale conduit à diminuer la qualité de vision par une prolatisation excessive du centre de l’implant, ce qui le rendra très pupillo-dépendant, avec un risque d’effets délétères par des aberrations de type coma en cas de décentrement et se traduisant par des astigmatismes difficilement corrigibles (MiniWell).
L’ANSI (American National Standards Institute) a défini un cahier des charges très modeste pour les EDOF monofocaux : une augmentation de la profondeur de champ supérieure ou égale à 0,50 D, une acuité intermédiaire à 66 cm supérieure ou égale à 6/10, une acuité visuelle de loin comparable à l’implant monofocal correspondant.
Le premier implant monofocal EDOF, le Eyhance, induit des aberrations sphériques négatives de -1 µ ± 0,07 en moyenne [4], avec une profondeur de champ induite de 1,12 D ± 0,52. Cet écart-type important vient du fait que cet implant est basé sur une aberration cornéenne moyenne de la population de +0,2 µ, ce qui n’est pas toujours le cas car la dispersion est très importante. Cela peut expliquer des variations d’efficacité et il serait intéressant dans les études de confronter les résultats aux aberrations cornéennes du patient.
Une étude profilométrique des différentes optiques, réalisée par une équipe italienne [5], a montré que :
- le Symfony était un implant diffractif ;
- le Eyhance était un monofocal dont le profil de l’optique a été prolatisé sur une hauteur de 1 µ par rapport au monofocal Tecnis correspondant, ce qui indique peu d’effet mais moins de risques ;
- le MiniWell était prolatisé de 10 µ, plus d’effet mais plus de risques.
Importance de la vision intermédiaire
L’usage de l’informatique dans toutes les tranches d’âge a rendu la vision intermédiaire importante dans les années 2015 (distance de lecture 65 cm).
Les premiers implants bifocaux diffractifs répartissaient l’énergie lumineuse sur 2 foyers, loin et près, avec une perte d’énergie d’environ 20%.
Pour les implants à optique réfractive, il y avait peu de perte d’énergie mais une nécessité de faire coexister dans l’aire pupillaire 2 zones réfractives de puissances différentes.
Le besoin de répartir l’énergie sur 3 foyers principaux ou plus a imposé d’obtenir un meilleur rendement des optiques et de limiter la perte d’énergie de façon à en disposer suffisamment pour la répartir sur les différentes focales.
Pour permettre d’obtenir une vision intermédiaire satisfaisante, plusieurs types de solutions ont été proposés par les centres de recherche et développement : vision toutes distances, vision loin/intermédiaire.
Obtenir une vision toutes distances
Implants diffractifs (figure 3)
- But : obtenir 3 à 5 focales de façon à avoir une courbe de défocus plus ou moins continue pour acquérir une vision toutes distances.
- Contraintes : la création de plusieurs focales impose de créer sur l’optique plusieurs réseaux diffractifs associés pour permettre la déviation des franges lumineuses vers ces différentes focales. Les ordres 0, 1 et 2 de diffraction sont utilisés. L’amélioration du rendement des implants diffractifs a des contraintes angulaires (figure 4).
Implants réfractifs
- But : réaliser des zones de transition entre les focales.
- Contraintes : positionnement de l’implant sensible au diamètre et à la position pupillaires.
Association des effets
- Diffractif- Réfractif avec une zone réfractive en périphérie.
- Réfractif avec 1 focale EDOF.
- Diminution de la dispersion chromatique sur les implants diffractifs hydrophobes pour homogénéiser les faisceaux sur ces matériaux sensibles à la longueur d’onde de la lumière.
- Effet de sommation binoculaire : loin/intermédiaire sur l’œil dominant et loin/près sur l’œil dominé.
Avantages et inconvénients des implants toutes distances L
e compromis de ce type d’implant privilégie plutôt la vision intermédiaire et la vision de près. Il permet de se libérer des verres correcteurs pour la vision de près et le travail informatique. La vision de loin est correcte, avec toutefois des effets photiques la nuit et la variation de performance en fonction de la luminosité.
Privilégier la vision de loin et la vision intermédiaire C
’est le principe de base des implants EDOF.
Avantages et inconvénients des différents implants EDOF
- EDOF multifocaux diffractifs et réfractifs : bonne qualité de la vision de loin et intermédiaire.
- Effets photiques plus limités, parfois nécessité de verres d’appoint pour la vision de près. Possibilité d’utiliser un discret effet « bascule ».
- EDOF monofocal : effet limité sur la vision intermédiaire et la vision de près. Peu d’effet photiques, verres correcteurs nécessaires pour la vision de près et intermédiaire. Ces implants, qui présentent peu d’effets EDOF, ont en revanche peu d’effets délétères et ont pour ambition de devenir le nouveau standard monofocal.
Conclusion
Les principes techniques de base des optiques multifocales et EDOF se retrouvent dans tous les types d’implants. Les propriétés réfractive, diffractive et EDOF sont parfois associées.
Il n’existe pas d’implant universel.
Le profil des optiques répond à des objectifs des centres de recherche et développement qui vont décider de leur stratégie :
- limiter les dysphotopsies ?
- favoriser la vision de loin pour les conducteurs, les sportifs ?
- favoriser la vision intermédiaire et de près pour les lecteurs et grands usagers de l’ordinateur ?
Le chirurgien devra s’enquérir du mode de vie du patient pour choisir l’implant le plus adapté et éviter ainsi des déconvenues (figure 5).
Références bibliographiques
[1] Zhu X, He W, Zhang Y et al. Inferior decentration of multifocal IOL in myopic eyes. Am J Ophthalmol. 2018;188:1-8.
[2] Rampat R, Gatinel D. Multifocal and extented depth of focus IOLs in 2020. Ophtalmology. 2021;128(11):e164-e185.
[3] Gatinel D, Pagnoulle C, Houbrechts Y, Gobin L. Design and qualification of a diffractive trifocal optical profile for intraocular lenses. J Cataract Refract Surg. 2011;37(11) :2060-7.
[4] Coullet J. Étude avec HDA OQAS II Montpellier. Réalités Ophtalmologiques. 2020;272.
[5] Tognetto D, Cecchini P, Giglio R, Turco G. Surface profiles of a new-generation IOLs with improved intermediate vision. J Cataract Refract Surg. 2020;46(6):902-6.
[6] Rozenbaum JP. Communications Safir et Keynote. 2018, 2019, 2020, 2021.
[7] Fernandez J, Rodriguez-Vallero M, Burguera N et al. Spherical aberration for expending deepth of focus. J Cataract Refract Surg. 2021;47(12) :1587-95.