Chirurgie du décollement de rétine rhegmatogène : faut-il peler la membrane limitante interne ?
Le pelage de la membrane limitante interne maculaire est de plus en plus pratiqué dans la chirurgie du segment postérieur, notamment depuis l’avènement des colorants vitaux qui ont grandement facilité sa réalisation. Son intérêt a été démontré dans le traitement des trous maculaires idiopathiques de grande taille et, à un moindre degré, dans celui des membranes épirétiniennes, mais il reste plus controversé dans la chirurgie des décollements de rétine, notamment en raison de ses effets indésirables. Nous aborderons dans cette revue les résultats des principales études publiées sur l’ablation de la membrane limitante interne dans les décollements de rétine et discuterons des indications potentielles.
Généralités
L’ablation de la membrane limitante interne (MLI) a d’abord été proposée comme geste adjuvant dans la chirurgie des trous maculaires idiopathiques (TMI) afin d’améliorer les résultats anatomiques. Elle permet en effet de relâcher les tractions tangentielles sur les bords du trou et de favoriser sa cicatrisation en stimulant la prolifération des cellules gliales [1]. Son efficacité a été démontrée dans de nombreuses études randomisées, permettant d’obtenir un taux de fermeture supérieur à 90%, tous types de TM confondus [1]. Elle ne semble toutefois pas indispensable à la guérison des TM de petite taille (inférieurs à 400 microns), plusieurs équipes ayant retrouvé des résultats identiques en l’absence de pelage [1].
L’indication du pelage de la MLI s’est ensuite élargie à la chirurgie des membranes épirétiniennes (MER). Le pelage favorise la disparition des plis rétiniens et diminue le taux de récidive (évalué entre 2 et 6% en l’absence de pelage), la MLI constituant un tissu de support pour la reprolifération cellulaire [2]. Néanmoins, ce geste autrefois systématique est actuellement remis en cause en raison de ses effets potentiellement délétères.
En effet, même si elle ne semble pas avoir d’effet néfaste sur l’acuité visuelle (AV), l’ablation de la MLI s’associe, sur la micropérimétrie, à une diminution de la sensibilité rétinienne et à l’apparition de microscotomes dans les zones de pelage et d’amorce de la MLI (figure 1) [1,2]. Ces altérations pourraient expliquer l’inconfort visuel décrit par certains patients opérés d’une MER ou d’un TMI, l’AV ne reflétant pas à elle seule l’état de la fonction maculaire ni la qualité de vision des patients.
Le pelage de la MLI induit également des traumatismes responsables d’anomalies de la surface rétinienne [1,2] :
- Swelling of the Arcuate Retinal Nerve Fiber Layer (SANFL), apparaissant précocement sous la forme de stries arciformes hypo-autofluorescentes, liées au masquage de la lipofuscine par l’œdème des fibres nerveuses. Ces modifications anatomiques sont transitoires mais laissent place à un amincissement séquellaire des fibres nerveuses souvent associé à la persistance de microscotomes ;
- amincissement des couches internes de la rétine avec atteinte du Retinal Nerve Fiber Layer (RNFL) ;
- Dissociated Optic Nerve Fiber Layer (DONFL), d’apparition plus tardive (1 à 3 mois), consistant en de nombreuses stries arciformes suivant la direction des fibres optiques, bien visibles sur les clichés en lumière bleue et en OCT en face. Sur l’OCT B-scan, ils apparaissent sous la forme de fossettes au niveau de la couche des fibres optiques et seraient liés à une désorganisation des cellules de Müller (figure 2). Cet aspect persiste à long terme mais ne semble pas avoir de retentissement visuel ou micropérimétrique.
Ainsi, quelle que soit l’indication, le pelage systématique de la MLI ne peut être considéré qu’après une analyse précise de ses risques et de ses bénéfices.
Pelage de la MLI dans la chirurgie du décollement de rétine
Les bons résultats obtenus dans la chirurgie maculaire ont conduit de nombreux auteurs à proposer de peler la MLI dans les décollements de rétine (DDR).
Actuellement, le pelage systématique est admis dans les DDR par trou maculaire où, à l’instar des TMI, il permet d’améliorer les résultats anatomiques et fonctionnels [3]. Il est également indiqué en présence d’une prolifération vitréo-rétinienne (PVR) de stade C étendue, se caractérisant par la formation de MER rétractiles et de foyers focaux de contraction vitréenne (tableau et figure 3). Il permet en effet de s’assurer de l’ablation complète des membranes et d’assouplir la rétine. De même, il est recommandé dans le cas d’une prolifération antérieure majeure nécessitant le recours à une rétinectomie afin de prévenir une rétraction maculaire secondaire [4].
Dans les autres situations, l’ablation systématique de la MLI reste controversée, le rapport bénéfice/risque n’étant pas clairement établi.
Nous présenterons dans ce chapitre l’effet du pelage sur les résultats anatomiques et fonctionnels de la chirurgie du DDR.
Formation de membranes épirétiniennes secondaires
Une méta-analyse récente incluant 9 études comparatives a montré que le pelage de la MLI réduisait significativement le taux de MER postopératoire de 29 à 3% [5]. Comme indiqué précédemment, la MLI jouerait en effet un rôle de soutien pour la prolifération des cellules de l’épithélium pigmentaire. Sa dissection permet de s’assurer de l’ablation complète du cortex vitréen postérieur, de la matrice extracellulaire et des éléments cellulaires à l’origine de la formation des MER. Même si elles sont parfois asymptomatiques, les MER secondaires représentent une cause non rare de baisse de vision et de métamorphopsies après une chirurgie de DDR et nécessitent le recours à une nouvelle intervention dans 33 à 85% des cas, le taux dépendant des critères utilisés pour définir la MER [5].
Résultats fonctionnels
Si l’ablation de la MLI permet de diminuer le taux de MER secondaire et d’éviter une deuxième chirurgie, son effet sur la récupération visuelle postopératoire reste discuté. Les études publiées rapportent des conclusions contradictoires, indiquant des résultats fonctionnels supérieurs, comparables, voire inférieurs chez les patients ayant bénéficié d’un pelage de la MLI [5]. Dans la méta-analyse de Fallico et al., aucune différence d’AV n’a été retrouvée entre les 2 groupes à 6 mois et ce, malgré la présence d’une MER chez 29% des yeux opérés sans pelage [5]. Les auteurs suggèrent que les altérations architecturales liées à l’ablation de la MLI pourraient avoir un effet délétère sur la fonction visuelle, expliquant l’absence de différence entre les 2 groupes [5]. Dans la seule étude randomisée contrôlée (incluse dans la méta-analyse), l’AV et la sensibilité rétinienne étaient significativement meilleures dans le groupe sans pelage [6]. Ces résultats ont toutefois pu être influencés par l’utilisation systématique d’huile de silicone et la baisse de vision qui lui est parfois associée. Celle-ci semble en effet être liée à des modifications dans la rétine interne, qui auraient pu être aggravées par l’ablation de la MLI.
Il est ainsi difficile de conclure, à partir de ces études, sur l’intérêt ou non de peler la MLI, si on considère l’hétérogénéité des variables susceptibles d’influencer les résultats visuels (durée du DDR, degré de PVR, statut maculaire, type de colorant et de tamponnement…) [5].
Résultats anatomiques
Dans cette même méta-analyse, le taux de réapplication était significativement supérieur dans le groupe avec pelage de MLI [5]. Cette donnée est principalement fondée sur les résultats de 2 études (sur les 5 considérées) et doit donc être interprétée avec précaution. Notre équipe a démontré, dans une série comparative rétrospective, que le pelage de la MLI était associé à un meilleur résultat anatomique chez les patients présentant un DDR macula-off avec une PVR de stade B (figure 4) [7]. La MLI contribue en effet à la rigidité de la rétine et à la formation de membranes prérétiniennes dans les stades avancés de PVR. Son ablation permettrait d’assouplir la rétine et de diminuer les forces de traction transmises au pôle postérieur. De plus, elle permettrait de réduire le risque de MER secondaire et de décollement maculaire par PVR localisée. Des études prospectives sont toutefois nécessaires pour confirmer ces résultats préliminaires.
Conclusion
Le pelage de la MLI est indiqué dans la chirurgie du DDR en présence d’un TM ou d’une PVR étendue au pôle postérieur. Il reste d’indication controversée dans les DDR non compliqués et ne peut être considéré en pratique courante en raison de ses effets potentiellement délétères sur la fonction visuelle.
Des études randomisées contrôlées sont nécessaires afin de déterminer clairement les bénéfices et les risques du pelage et d’identifier les situations justifiant son utilisation systématique.
Références bibliographiques
[1] Morescalchi F, Costagliola C, Gambicorti E et al. Controversies over the role of internal limiting membrane peeling during vitrectomy in macular hole surgery. Surv Ophthalmol. 2017;62(1):58-69.
[2] Grimbert P, Lebreton O, Weber M. [Optical coherence tomography and microperimetry after internal limiting membrane peeling for epiretinal membrane]. J Fr Ophtalmol. 2014;37(6):434-41.
[3] Xu Q, Luan J. Vitrectomy with inverted internal limiting membrane flap versus internal limiting membrane peeling for macular hole retinal detachment in high myopia: a systematic review of literature and meta-analysis. Eye (Lond). 2019;doi:10.1038/s41433-019-0458-3.
[4] Odrobina D, Bednarski M, Cisiecki S et al. Internal limiting membrane peeling as prophylaxis of macular pucker formation in eyes undergoing retinectomy for severe proliferative vitreoretinopathy. Retina. 2012;32(2):226-31.
[5] Fallico M, Russo A, Longo A et al. Internal limiting membrane peeling versus no peeling during primary vitrectomy for rhegmatogenous retinal detachment: A systematic review and meta-analysis. PLoS One. 2018;13(7):e0201010.
[6] Eissa MGAM, Abdelhakim MASE, Macky TA et al. Functional and structural outcomes of ILM peeling in uncomplicated macula-off RRD using microperimetry & en-face OCT. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2018;256(2):249-57.
[7] Foveau P, Leroy B, Berrod JP, Conart JB. Internal limiting membrane peeling in macula-off retinal detachment complicated by grade b proliferative vitreoretinopathy. Am J Ophthalmol. 2018;191:1-6.