Atteinte cornéenne du glaucome congénital

Le terme de glaucome congénital correspond à l’existence à la naissance d’une anomalie de développement d’origine génétique qui entraînera au cours des trois premières années de la vie – lorsque la sclère, plus riche en fibres élastiques qu’en fibres collagènes matures, est encore capable de distension – une augmentation de la pression intra­oculaire (PIO) et éventuellement par la suite un glaucome.

Cette anomalie de développement peut être isolée ou bien associée à d’autres malformations oculaires ou générales [1]. Les glaucomes congénitaux regroupent en effet traditionnellement les glaucomes primitifs « infantiles », ou buphtalmies, découverts à la naissance ou durant la première année de vie, et les glaucomes congénitaux primitifs « juvéniles », à manifestation plus tardive (après l’âge de 2 ans, au cours de l’adolescence ou chez l’adulte jeune), mais que l’on savait également liés à des anomalies de développement présentes à la naissance [2].
Le glaucome congénital est caractérisé par une PIO élevée, un élargissement du globe (buphtalmie), un œdème cornéen et une excavation papillaire, avec des caractéristiques cliniques telles qu’un épiphora, une photophobie et un blépharospasme. C’est, avec la sclérocornée et l’anomalie de Peters, l’une des causes les plus communes de l’opacité congénitale de la cornée. Les causes rares comprennent le staphylome antérieur/ kératectasie, les dystrophies cornéennes, les mucopolysaccharidoses, les mucolipidoses et les tumeurs cornéennes ­congénitales [3,4].
L’œdème cornéen chez ces patients résulte de la rupture de la membrane de Descemet (stries de Haab) et de la perte cellu­laire endothéliale. Il peut être présent dès la naissance et ­irréversible ou réversible. Il peut également se développer secondairement lorsque le capital de cellules endothéliales devient insuffisant pour assurer la fonction de déturgescence du stroma cornéen. Si l’œdème cornéen ne s’améliore pas malgré le traitement du glaucome, ou lorsque l’endothélium est définitivement défaillant, une greffe de cornée peut être discutée.

Cas clinique
Notre cas clinique est celui d’un patient qui avait été opéré d’un glaucome congénital pendant la première année de vie par iridenclésis.
Il nous avait été adressé en 1999, à l’âge de 38 ans, pour un œdème cornéen douloureux de l’œil gauche avec une PIO normale à 8 mmHg à droite et 10 mmHg à gauche, sans traitement hypotonisant. Le glaucome était donc parfaitement contrôlé par la chirurgie initiale. L’acuité visuelle était de 6/10 à droite et de 1/10 à gauche. L’examen biomicroscopique montrait la correctopie et l’hernie de l’uvée antérieure, signes du premier traitement chirurgical du glaucome par iridenclésis. La cornée était claire à droite et œdémateuse à gauche, avec des stries de Haab. Le patient avait été opéré cette même année d’une kératoplastie transfixiante de l’œil gauche. Les suites opératoires étaient marquées par une hypertonie postopératoire immédiate à 33 mmHg, contrôlée par une bithérapie (timolol, dorzolamide). Après la décroissance de la corticothérapie locale, le traitement hypotonisant était arrêté et la PIO restait normale sans traitement, montrant que l’iridenclésis était toujours fonctionnel. Le patient avait récupéré une acuité visuelle de 4/10. Le suivi postopératoire des quatre premières années était simple, puis le patient avait été perdu de vue.
Nous le revoyons 19 ans après sa greffe pour un contrôle de routine. Il ne rapporte aucune plainte fonctionnelle. L’acuité visuelle de l’œil greffé est de 3/10 Parinaud 8 avec un astigmatisme de 4 D, la PIO est de 16 mmHg. L’épaisseur cornéenne centrale de l’œil greffé est de 650 µ. Le greffon est clair (figure 1) et la microscopie spéculaire montre une densité endothéliale de 800 cellules/mm2. Les stries de Haab sont bien visibles au niveau de la cornée périphérique (non greffée, figure 2). En topographie cornéenne, la valeur du cylindre SimK est de 4,08 D avec une kératométrie moyenne simulée de 45,7 D. L’OCT spectral domain montre un greffon ayant les caractéristiques d’une cornée centrale normale, en dehors du mapping épithélial qui se caractérise par une augmentation de la variabilité de l’épaisseur épithéliale (figure 3). L’œil controlatéral a une vision et une PIO stables avec une cornée qui reste claire (figure 4). L’OCT est normal à droite (figure 5).

Discussion
L’œdème cornéen du glaucome congénital, lié aux ruptures de la membrane de Descemet et à la perte cellulaire endothéliale, pose des problèmes difficiles dans la prise en charge thérapeutique. La greffe de cornée (endothéliale si le stroma n’est pas fibrosé, sinon transfixiante) est la solution logique lorsque la fonction endothéliale est définitivement perdue. Elle expose néanmoins au risque de décompensation du glaucome et de perte de la vision par évolution de la neuropathie optique glaucomateuse [5]. De plus, l’hypertonie postgreffe est source de perte cellulaire endothéliale accélérée et de décompensation endothéliale non immunologique du greffon. Il faut donc poser l’indication opératoire avec prudence et ne pas opérer un œil dont le glaucome n’est pas parfaitement contrôlé ou contrôlable. Enfin la présence d’une amblyopie ou de comorbidités oculaires peut limiter le potentiel visuel de l’œil.
Dans notre cas clinique, la chirurgie du glaucome congénital (iridenclésis) a été couronnée de succès puisque 37 ans plus tard, elle est restée parfaitement efficace et a permis la réalisation d’une greffe de cornée dans de bonnes conditions. La survie du greffon et de son endothélium est remarquable 19 ans après la greffe. Cette évolution favorable ne doit cependant pas inciter à porter l’indication de la greffe par excès. Lorsque le pronostic visuel ou anatomique de la greffe est mauvais, une greffe de membrane amniotique à but antalgique peut améliorer les douleurs liées à l’œdème sans risquer d’entraîner une perte de la vision par évolution terminale du glaucome.

Références bibliographiques
[1] Schnyder C, Mermoud A. Glaucome. Elsevier, Paris. 2005.
[2] Hoskins HD Jr, Shaffer RN, Hetherington J. Anatomical classification of the developmental glaucomas. Arch Ophthalmol. 1984;102 (9):1331-6.
[3] Nischal KK. A new approach to the classification of neonatal corneal opacities. Curr Opin Ophthalmol. 2012;23(5):344-54.
[4] Gupta N, Tandon R. Sociodemographic features and risk factor profile of keratomalacia in early infancy. Cornea. 2012;31(8):864-6.
[5] Borderie VM, Loriaut P, Bouheraoua N, Nordmann JP. Incidence of intraocular pressure elevation and glaucoma after lamellar versus full-thickness penetrating keratoplasty. Ophthalmology. 2016;123(7): 1428-34.

Auteurs

  • Munirah Afaleq

    Interne en ophtalmologie

    Service d’ophtalmologie V, CHNO des Quinze-Vingts, Paris

  • Cristina Georgeon

    Ophtalmologiste

    Centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts, Paris.

  • Vincent Borderie

    Ophtalmologiste

    CHNO des Quinze-Vingts, Sorbonne université, Paris

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