Astigmatisme : comment bien choisir ?

Adapter des patients astigmates en lentilles suscite souvent beaucoup d’appréhension. Lorsque cet astigmatisme ne peut pas être négligé et que l’on doit avoir recours à des lentilles toriques, comment s’en sortir ?

Analyser l’astigmatisme

Avant de se lancer dans une adaptation en lentilles toriques, il est primordial d’analyser de façon précise l’astigmatisme. Pour cela, on se base sur le ticket de l’autoréfracteur, la réfraction lunettes et la topographie cornéenne.

Cornéen, interne ou mixte ?
Il faut déterminer si on est en présence d’un astigmatisme cornéen, interne ou mixte.

Astigmatisme total = astigmatisme cornéen + astigmatisme interne.

L’astigmatisme total est celui mesuré par l’autoréfractomètre.
L’astigmatisme cornéen est lié à la différence de rayon de courbure entre les 2 méridiens de la face antérieure de la cornée. On l’évalue avec un kératomètre automatique ou un topographe.
Il peut exister un astigmatisme physiologique de -0,50 à 180°.
10/100 mm de toricité cornéenne correspondent à 0,50 D d’astigmatisme cornéen.
Exemple :
8,32 / 7,92 = 40/100 de toricité     
                     = 2,00 D d’astigmatisme.

L’astigmatisme interne est dû à la combinaison des différents dioptres internes de l’œil : face postérieure de la cornée, face antérieure du cristallin, face postérieure du cristallin et face antérieure du segment postérieur.

L’astigmatisme mixte est dû à l’association d’un astigmatisme cornéen et d’un astigmatisme interne qui peuvent s’additionner, se soustraire, voire s’annuler.
Exemple :
autoréfractomètre : -1,25 (-0,25 à 10°) : pas d’astigmatisme réfractif ;
kératométrie : 7,80/7,45 : l’astigmatisme cornéen est de 35/100, soit 1,75 D.
Il existe donc un astigmatisme interne, compensé par l’astigmatisme cornéen.

Direct ou indirect ?
L’astigmatisme est-il direct (conforme à la règle), avec un axe autour de 180°, ou indirect (inverse), avec un axe autour de 90° ?
Un astigmatisme inverse sera plus pénalisant pour l’acuité visuelle (AV) lorsqu’il n’est pas corrigé : un astigmatisme conforme à la règle de 4,00 D non corrigé entraîne une baisse d’AV de 10/10 à 2/10, alors qu’il suffit d’un astigmatisme inverse de 2,50 D pour entraîner une baisse équivalente.

Régulier ou irrégulier ?
Même si, en routine, la réalisation d’une topographie cornéenne n’est pas systématique, on y aura recours si l’on suspecte un astigmatisme irrégulier (faibles indices de fiabilité à l’ARK, AV qui n’est pas de 10/10 en lunettes).
Un astigmatisme régulier donne une image classique en sablier. Dans un astigmatisme irrégulier (kératocône, corneal warpage, traumatismes, postchirurgie cornéenne…), on observe des courbures dissymétriques avec un axe non rectiligne et/ou ne passant par le centre de la cornée.

Importance
Il faudra enfin évaluer l’importance de cet astigmatisme. Il sera considéré comme faible s’il est inférieur à 1,25 D, modéré s’il est compris entre 1,25 et 2,75 D, et fort lorsqu’il est supérieur à 2,75 D. Une baisse d’AV sera perceptible pour un tore de -0,50 D dans le cas d’une variation supérieure à 9°, et pour un tore de -4,00 D au-delà de 1° de variation. D’où l’importance d’avoir recours à des systèmes de stabilisation performants.

Correction en lentilles

Une fois que l’on a correctement analysé l’astigmatisme, il faut savoir s’il est nécessaire de le corriger en lentilles.
Il pourra être négligé :
- s’il est conforme à la règle (axe est proche de 0°) ;
- si sa puissance est faible (inférieure à 0,75) ;
- si la puissance cylindrique est inférieure au quart de la sphère (par exemple, un astigmatisme de 0,75 D pour une sphère de 4,00 D).
Exemple : -4,50 (-0,50 à 0°) Pour négliger l’astigmatisme, on réalise un équivalent sphérique : on ajoute la moitié du cylindre à la valeur de la sphère. Dans cet exemple, l’équivalent sphérique est égal à -4,75.
On teste l’AV avec cet équivalent sphérique et on s’assure qu’elle ne chute pas. On applique le correctif de la distance verre-œil (-4,75 lunettes ↔ -4,50 lentilles) et on équipe en lentilles sphériques.

Il devra être corrigé dans les autres situations, d’autant plus si cette négligence entraîne des signes fonctionnels.
 Exemple : -0,50 (-0,75 à 0°). On devra dans ce cas réaliser un équipement en lentilles toriques.

Lentilles souples ou rigides ?

Si l’astigmatisme doit être corrigé, il faudra alors déterminer si on s’oriente vers des lentilles souples ou rigides.
Les lentilles souples corrigent l’astigmatisme total. Le confort est quasi immédiat à la pose. Cependant, dans les lentilles « standard », tous les astigmatismes ne peuvent être corrigés et on peut être confronté à des problèmes de stabilisation. Par ailleurs, on n’obtient pas toujours de bons résultats pour les astigmatismes importants.
Les lentilles rigides offrent une qualité visuelle supérieure et permettent de prendre en charge des astigmatismes plus importants. Elles compensent la totalité de l’astigmatisme cornéen jusqu’à environ 2,50 D. Mais il existe souvent des problèmes de tolérance et l’adaptation doit se faire de façon progressive.

Lentille souple
On choisira la lentille en fonction du terrain (allergie, travail sur écran, sécheresse) et du souhait de modalité de port (occasionnel, régulier).
Il convient de privilégier des lentilles à renouvellement fréquent (jetables journalières, bimensuelles ou mensuelles), avec une transmissibilité à l’oxygène importante (Dk/e élevés) et des matériaux de dernière génération en silicone hydrogel.
Afin de corriger de façon optimale un astigmatisme, plusieurs systèmes de stabilisation sont disponibles dans les lentilles « standard » (prismes ballast, prismes périballast, allègements, épaississements, troncatures…) : il faut savoir changer de marque devant un problème de stabilisation.
Il est parfois nécessaire d’avoir recours à des lentilles « sur mesure » mensuelles ou trimestrielles, mais avec des Dk/e moins importants.
Ainsi, pour des fortes amétropies, il faudra toujours s’interroger sur l’opportunité d’un équipement en lentilles rigides. Mais si le port doit être occasionnel, on restera sur des lentilles jetables journalières, quitte à ne pas corriger l’amétropie en totalité.

Lors du choix de la puissance il faudra tenir compte de la distance verre-œil, au-delà de ± 4,00 D.
 Exemple :
réfraction lunettes -5,00 (-1,50 à 90°) ;
puissance lentilles d’essai : -4,75 (-1,25 à 90°).

Dans les gammes de lentilles classiques, l’astigmatisme se corrige à partir de -0,75 D, par pas de 0,50, et les axes par 10°.
On choisira l’astigmatisme le plus faible. Pour l’œil droit, si l’axe n’existe pas, on retire 5°, pour l’œil gauche, on ajoute 5°.
Exemple :
réfraction lunettes -1,50 (-1,50 à 95°) / -2,50 (-1,00 à 75°) ;
essai lentilles : -1,50 (-1,25 à 90°) / -2,50 (-0,75 à 80°).

Lors du contrôle de la lentille d’essai, on évalue le ressenti du patient en termes de confort physique et visuel, on analyse le positionnement et le comportement du trait repère à la lampe à fente, puis on mesure l’AV avec les lentilles, et avec une éventuelle réfraction complémentaire.
• Bonne AV, trait repère centré : on peut prescrire cette lentille.
• Bonne AV, trait repère décentré : on peut également la prescrire, à condition qu’il n’y ait pas de fluctuations visuelles.
• Mauvaise AV, trait repère décentré de plus de 20° ou instable : il faut changer de système de stabilisation.
• Mauvaise AV, trait repère centré et stable : il faut chercher à améliorer l’acuité avec une réfraction complémentaire.
• Mauvaise AV, trait repère décentré de moins de 20° et stable : si on peut améliorer l’acuité avec une surréfraction en équivalent sphérique, on modifie la puissance de la lentille ; s’il existe une surréfraction sphéro-cylindrique, on analyse le comportement de la lentille à la lampe à fente : on évalue et on note l’angle de la gravure centrale avec l’axe vertical, le sens de la déviation, et l’importance de la rotation. Puis on effectue les modifications au niveau de la prescription, en utilisant la règle du SAM/SIAM
Exemple :
lentille d’essai : -2,00 (-1,25 à 180°).
S’il y a une rotation de 10° SAM : on Ajoute 10° → -2,00 (-1,25 à 10°) ;
s’il y a une rotation de 10° SIAM, on retIre 10° → -2,00 (-1,25 à 170°).

Lentille rigide
Si l’amétropie présentée par le patient est trop importante et/ou si l’on rencontre des problèmes de stabilisation en lentilles souples, on va opter pour une lentille rigide.
L’analyse précise de l’astigmatisme est primordiale pour guider son choix :
- astigmatisme cornéen inférieur à 2,50 D : rigide sphérique ;
- astigmatisme cornéen supérieur à 2,50 D : torique interne ;
- astigmatisme interne supérieur à 1 D : torique externe ;
- astigmatisme interne supérieur à 1 D et astigmatisme cornéen supérieur à 2,50 D : bitorique.
Dans le cas d’un astigmatisme interne ou mixte, s’il n’est pas très important, il sera préférable de privilégier une lentille souple.
Voici un exemple d’une réfraction identique, mais de kératométries différentes, aboutissant à la prescription de 3 types de lentilles.
1er patient : -4,00 (-2,50 à 180°)
                         Kératométrie : K 7,70/K’ 7,20

L’astigmatisme cornéen est de 0,50 mm, soit 2,50 D. Il est égal à l’astigmatisme total. Il s’agit donc d’un astigmatisme cornéen pur qui, en théorie, peut être totalement compensé par une lentille rigide sphérique.
S’il persiste un astigmatisme résiduel pénalisant pour l’AV et/ou si la lentille sphérique est instable, il faudra avoir recours à une lentille rigide torique interne.
2e patient : -4,00 (-2,50 à 180°)
                      Kératométrie : K 7,70/K’ 7,70

L’astigmatisme cornéen est nul. On est donc en présence d’un astigmatisme interne, qui doit être corrigé par une lentille rigide torique externe. Peut-être est-il plus judicieux d’essayer en premier lieu une lentille souple torique.
3e patient : -4,00 (-2,50 à 180°)
                       Kératométrie : K 7,70/K’ 7,50

L’astigmatisme cornéen est de 0,20 mm, soit 1,00 D. L’astigmatisme est donc mixte : 1,00 D d’astigmatisme cornéen et 1,50 D d’astigmatisme interne. Dans un premier temps, on pose une LRPO sphérique. Lors de la surréfraction, on évalue s’il existe un astigmatisme résiduel et s’il est pénalisant pour l’AV.

Conclusion

Au préalable de toute adaptation en lentilles toriques, il est primordial d’effectuer une réfraction du jour et d’analyser de façon minutieuse l’astigmatisme. Le choix de la lentille se fait en fonction du terrain du patient, de son mode de vie, de ses souhaits de port et de son amétropie. En cas d’échec en lentilles souples toriques, il faut savoir changer de système de stabilisation. Il faut toujours s’interroger sur l’opportunité d’une adaptation en lentilles rigides.

Auteurs

  • Virginie Madariaga

    Ophtalmologiste

    Departement de médecine interne, CHU Purpan, Université de Toulouse III- Paul-Sabatier, Toulouse

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