Apnée du sommeil et risques oculaires

Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) est associé à des pathologies oculaires assez diverses, allant du kératocône à l’occlusion de la veine centrale de la rétine. Il est souvent sous-diagnostiqué car non dépisté au cours de la consultation d’ophtalmologie. Sa recherche à l’interrogatoire est importante et justifiée pour l’ensemble des pathologies présentées dans cet article, car son traitement permet d’éviter une aggravation de la maladie.

Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil correspond à un trouble du sommeil marqué par un collapsus pharyngé nocturne entraînant une obstruction partielle (hypopnée) ou complète (apnée) des voies aériennes. Il est retrouvé chez 3 à 7% des hommes et 2 à 5% des femmes, et 60% des patients atteints ne seraient pas diagnostiqués. Ce syndrome est caractérisé par des ronflements importants et irréguliers, une somnolence diurne excessive et une dysomnie (réveils nocturnes avec nycturie, sommeil non récupérateur).

L’échelle de somnolence d’Epworth (figure 1) permet rapidement en consultation d’orienter le patient vers un médecin spécialisé en troubles du sommeil ou un pneumologue si le score est supérieur à 15. Celui-ci demandera la réalisation d’une polysomnographie nocturne qui est actuellement le gold standard pour poser le diagnostic de cette pathologie. Cet examen permet de quantifier le nombre d’apnées ou d’hypopnées supérieures à 10 secondes par heure de sommeil (indice apnées-hypopnées [IAH]). Si cet indice est supérieur à 30, le SAOS est considéré comme grave. Le traitement des formes sévères repose sur la ventilation mécanique en pression positive continue (PPC) via un masque recouvrant le nez et parfois la bouche (figure 2). Dans tous les cas, une perte de poids est également recommandée. En cas d’échec ou d’intolérance de la PPC, une orthèse d’avancée mandibulaire ou un traitement chirurgical peuvent être envisagés.

La mortalité liée au SAOS est essentiellement d’origine cardiovasculaire, avec 2 fois plus d’hypertension artérielle (HTA) (stress oxydatif induit par l’hypoxémie → activation sympathique → activation système rénine-angiotensine → HTA), 3 fois plus d’insuffisance coronarienne et 4 fois plus d’AVC chez les patients atteints. Le stress oxydatif chronique étant également responsable d’une résistance à l’insuline, le risque de diabète de type 2 est augmenté chez ces patients.
Les manifestations oculaires du SAOS dérivent des effets mécaniques et vasculaires induits par ce syndrome.
Dans cet article, nous décrirons les différentes atteintes oculaires pouvant être retrouvées chez un patient atteint d’un SAOS.

Floppy Eyelid Syndrome

Le Floppy Eyelid Syndrome (FES) est marqué par une laxité anormale des paupières supérieures. Les paupières hyperlaxes s’éversent facilement et ne jouent plus leur rôle protecteur pour la cornée, ce qui crée une inflammation de surface chronique avec une possible kératite filamenteuse. Les symptômes d’inconfort oculaire (larmoiement, rougeur, sensation de corps étranger) sont souvent plus marqués au réveil. Dans une étude de 50 patients atteints d’un FES, 54% présentaient un SAOS et le FES était associé à des formes plus sévères de SAOS [1]. L’affaiblissement du tissu conjonctif par diminution de sa teneur en élastine et la majoration des métalloprotéinases matricielles sont les points communs histologiques de ces 2 pathologies. Le traitement du SAOS sous-jacent par la VPP permet souvent d’améliorer le FES.

Kératocône

Une méta-analyse récente retrouve une association significative entre le SAOS et le kératocône [2].  
Pedrotti et al. ont réalisé une polysomnographie nocturne chez 50 patients atteints d’un kératocône et ont mis en évidence une prévalence d’un SAOS proche de 40% [3]. Les patients atteints du SAOS étaient plus âgés et avaient un IMC plus important. Le SAOS étant de forme légère chez la plupart des patients, ils étaient, dans la majorité des cas, non diagnostiqués avant l’étude. La recherche d’un SAOS à l’interrogatoire en cas de découverte d’un kératocône n’est donc pas à négliger.
La fatigue chronique induite par le SAOS non traité et l’irritation oculaire peuvent engendrer des frottements oculaires exacerbés. Une fois appareillés, les patients dorment en décubitus dorsal à cause du masque de ventilation en pression positive (VPP) et sont moins fatigués. Cela permet de limiter l’aggravation du kératocône.

Glaucome

Un certain nombre d’études publiées identifient un lien significatif entre glaucome et SAOS, et plus particulièrement entre SAOS et glaucome à pression normale (GPN), mais ce lien est contesté par d’autres études, nombreuses elles aussi, qui ne retrouvent pas cette association. Une méta-analyse de l’ensemble des études publiées observe un surrisque de glaucome de 40% dans le cas d’un SAOS (figure 3) [4]. Deux autres méta-analyses publiées en 2016 et 2017 mettent en évidence une diminution significative des fibres ganglionnaires à l’OCT (sauf le cadran temporal) et ce, d’autant plus que l’apnée est sévère [5].
Devant cette association controversée, la recherche d’un SAOS ne doit pas être systématique en cas de glaucome, en dehors des cas de GPN avéré ou d’aggravation non expliquée.

Neuropathie ischémique antérieure aiguë non artéritique

Une large cohorte publiée par Stein et al. révèle un surrisque de 16% de survenue d’une neuropathie ischémique antérieure aiguë (NOIAA) chez les patients atteints d’un SAOS. Pour Gaier et al., ce risque est 5 fois plus élevé [6]. Le risque de bilatéralisation dans les NOIAA non artéritiques étant de 15% à 5 ans, il faut rapidement diagnostiquer et traiter un SAOS après une NOIAA du premier œil.
Les patients atteints d’un SAOS souffrent d’une altération de l’autorégulation du flux sanguin, avec un déséquilibre de l’oxyde nitrique et de l’endothéline exacerbant l’hypoperfusion hypoxique des tissus. En outre, pendant les épisodes apnéiques, la pression intracrânienne augmente et limite la perfusion du nerf optique, pouvant entraîner une NOIAA.

Atteinte rétinienne

La rétine est l’un des tissus les plus actifs du corps humain sur le plan métabolique. En raison de ses besoins élevés en oxygène, elle présente souvent des modifications secondaires à des troubles hypoxiques comme le SAOS, relativement tôt dans l’évolution de la maladie.

Rétinopathie diabétique
La méta-analyse la plus récente a montré que le SAOS était significativement associé à un risque accru de rétinopathie diabétique (OR 2,01) [7].
Des biomarqueurs spécifiques du sommeil ont été associés à la rétinopathie diabétique proliférante (RDP) chez les patients diabétiques. À la polysomnographie, une augmentation de l’IAH en sommeil paradoxal est liée à la rétinopathie diabétique [8].

Choriorétinite séreuse centrale
L’incidence annuelle de la choriorétinite séreuse centrale (CRSC) est de 0,21%. Certaines études ont montré que bien que les troubles du sommeil, l’hypertension et d’autres facteurs de risque pouvaient contribuer au risque de CRSC, le sexe masculin, l’âge de 45 à 54 ans et une exposition récente aux stéroïdes restaient les facteurs de risque les plus importants. Cependant, lorsque le SAOS est considéré comme un facteur de risque indépendant, il augmente de façon significative le risque de développer une CRSC (OR 4,97). Il faut donc le dépister lors de la survenue d’une CRSC [9].

Occlusion de la veine centrale de la rétine
Un IAH élevé a également été associé à une diminution du calibre vasculaire rétinien et à une atténuation de l’amplitude du pouls vasculaire rétinien, ce qui accroît le risque d’événements occlusifs. L’IAH moyen est significativement plus élevé chez les patients atteints d’une occlusion de la veine centrale de la rétine (OVCR) que chez les témoins appariés selon l’âge et le sexe.
L’IAH, dans cette population étudiée, a également été positivement corrélé à l’IMC, ce qui suggère que les patients présentant à la fois un IMC plus élevé et un SAOS ont un risque accru d’OVCR [10].

Effets secondaires de la VPP

L’appareillage des patients avec la technique de VPP a aussi un retentissement sur le plan oculaire. En cas de fuite, les patients rapportent une irritation oculaire chronique. Un cas de kératopathie lipidique sur néovascularisation est d’ailleurs publié dans la littérature. Dans les cas de kératocône, les démangeaisons secondaires aux fuites sont potentiellement inductrices de frottements et d’aggravation du kératocône du côté de la fuite. Une aggravation unilatérale d’un kératocône chez un patient SAOS appareillé sans autres facteurs de risque de progression retrouvés doit faire rechercher une fuite d’air nocturne au niveau du masque.
Paradoxalement, la VPP augmentant le pic de pression intraoculaire nocturne, le champ visuel et la papille doivent être surveillés chez les patients traités et non traités [11].

Références bibliographiques
[1] McNab AA. The eye and sleep apnea. Sleep Med Rev. 2007;11(4): 269-76.
[2] Pellegrini M, Bernabei F, Friehmann A, Giannaccare G. Obstructive sleep apnea and keratoconus: A systematic review and meta-analysis. Optom Vis Sci. 2020;97(1):9-14.
[3] Pedrotti E, Demasi CL, Fasolo A et al. Obstructive sleep apnea assessed by overnight polysomnography in patients with keratoconus. Cornea. 2018;37(4):470-3.
[4] Shi Y, Liu P, Guan J et al. Association between glaucoma and obstructive sleep apnea syndrome: a meta-analysis and systematic review. PLoS One. 2015;10(2):e0115625.
[5] Wang W, He M, Huang W. Changes of retinal nerve fiber layer thickness in obstructive sleep apnea syndrome: A systematic review and meta-analysis. Curr Eye Res. 2017;42(5):796-802.
[6] Gaier ED, Torun N. The enigma of nonarteritic anterior ischemic optic neuropathy: An update for the comprehensive ophthalmologist. Curr Opin Ophthalmol. 2016;27(6):498-504.
[7] Zhu Z, Zhang F, Liu Y et al. Relationship of obstructive sleep apnoea with diabetic retinopathy: A meta-analysis. Biomed Res Int. 2017;2017:4737064.
[8] Nishimura A, Kasai T, Kikuno S et al. Apnea hypopnea index during rapid eye movement sleep with diabetic retinopathy in patients with type 2 diabetes. J Clin Endocrinol Metab. 2019;104(6):2075-82.
[9] Chatziralli I, Kabanarou SA, Parikakis E et al. Risk factors for central serous chorioretinopathy: Multivariate approach in a case-control study. Curr Eye Res. 2017;42(7):1069-73.
[10] Wang YH, Zhang P, Chen L et al. Correlation between obstructive sleep apnea and central retinal vein occlusion. Int J Ophthalmol. 2019;12(10):1634-6.
[11] Kiekens S, De Groot V, Coeckelbergh T et al. Continuous positive airway pressure therapy is associated with an increase in intraocular pressure in obstructive sleep apnea. Invest Ophthalmol Vis Sci. 

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